Jean-Louis Magakian, professeur de stratégie et co-auteur de l’ouvrage 100 fiches pour comprendre la stratégie d’entreprise (5eme édition, Bréal, 2015), en est convaincu.  Après une période de recul, la stratégie semble bel et bien faire son retour dans l’entreprise. A l’aide d’exemples issus de l’actualité récente, il identifie les signes de ce come-back et en désigne les enjeux clés pour le management stratégique.

 

« Vide stratégique »

Depuis 2015 nous assistons à une recrudescence des décisions stratégiques majeures. Après une période de triomphe de plus de vingt ans (des années 60 jusqu’à la fin des années 80), la stratégie a cédé la place à la financiarisation de l’économie et du capitalisme. Les conséquences de ces années ne sont pas neutres. Il s’en suit un désapprentissage de la réflexion stratégique et l’omniprésence du calcul court-termiste imposé par les agences de notation ou les analystes. Ceci aboutit à un « vide stratégique » comme le constate Philippe Baumard dans un ouvrage de 2012. Cependant les enjeux stratégiques ne reviendraient-ils pas en première ligne ? Prenons comme élément témoin la recherche du terme stratégie sur le site du journal Les Echos. Cette requête engendre environ 7000 occurrences entre 2002 et 2008. Ce chiffre est doublé à partir des années 2010. Va-t-on vers un renouveau du stratégique ?

Grandes manœuvres

Depuis 2015, nous assistons à un retour des manœuvres stratégiques au premier plan. Stéphane Richard lance Orange dans une diversification bancaire en initiant une entrée au capital de Groupama Banque afin de créer Orange Bank, une offre destinée aux usages liés aux mobiles.

Carlos Tavares pousse PSA à ambitionner un éventuel retour en excellence en s’appuyant sur l’intégration des services à la mobilité comme enjeu stratégique central de son plan « Back in the race ».

L’alliance Drahi-Weill (les dirigeants de Altice/SFR et NextRadioTV) entraine ces deux acteurs français de la communication à viser une présence globale dans la production et la diffusion audiovisuelle.

Même la distribution s’illustre par les manœuvres de concentration d’Alexandre Bompard (Fnac) ou Alexandre Nodale (Conforama) autour de la cession de Darty. Si cette bataille vient d’être remportée par le premier, leur objectif stratégique est de renforcer le portefeuille d’activités d’enseignes trop étriquées dans un positionnement historique.

Citons enfin la charge très controversée de Vivendi sur le secteur des médias et de l’entertainment. Vincent Bolloré, après avoir pris de contrôle de Canal+, lance plusieurs prises de participation dans des entreprises comme Telecom Italia, Gameloft, UbiSoft ou Mediaset. Dans ce dernier cas, l’aventure stratégique, fondée sur la maitrise du système de valeur des médias, entraine son lot de critiques. Les actionnaires exigent un vision plus précise des ambitions du Président du conseil du groupe, alors que les analystes critiquent les capacités de rendement d’une telle démarche.

Hyper-compétition

L’enjeu de la stratégie est moins centré sur le rendement d’une valeur financière soumise aux caractéristiques d’une industrie que sur la capacité à construire les conditions concurrentielles sur cette industrie. Dans un contexte d’hyper-compétition, la place de la stratégie se situe à tous les niveaux de l’organisation. Cela implique de déplacer les limites organisationnelles établies. Le travail stratégique (c’est à dire la combinaison des intentions avec les actions collectives) n’est plus seulement l‘attendu d’une catégorie de décideurs. La stratégie se doit d’entrainer la participation de tous les acteurs, que ces projets soient strictement économiques (comme les exemples ci-dessus) ou volontariste comme Total. Son dirigeant, Patrick Pouyané, veut en effet renouveler l’organisation avec le projet « One Total » afin de devenir « la major de l’énergie responsable » en intégrant différentes nouvelles activités comme l’énergie solaire, les énergies renouvelables et les métiers de l’efficacité énergétique.

Trois enjeux de management

Nous en retirons trois défis clés pour le management stratégique. Le premier touche à la définanciarisation. La stratégie devient-elle moins une démarche de communication destinée aux actionnaires que l’engagement du management à destination des parties prenantes de l’entreprise et de la société ?
Le second concerne l’innovation stratégique. Les révolutions écologiques, économiques et technologiques impliquent-elles la combinaison de démarches incrémentales et radicales pour combiner exploration et exploitation afin d’engager l’émergence de nouvelles idées stratégiques ?
Dernier enjeu, sortir du mimétisme. Les récentes manœuvres n’indiqueraient-elles pas que l’avantage concurrentiel d’une entreprise consisterait à (re)faire… de la stratégie ?

Jean-Louis Magakian, emlyon business school

Jean-Louis Magakian

Professeur en stratégie et organisation, mon travail porte sur les activités cognitives en entreprises et dans les organisations au travers de la théorie de l’activité. Ce cadre de recherche s’insère dans l’étude opérationnelle des nouveaux critères de recherche relatifs aux activités cognitives, aux formes de discours (langages naturels, codifiés, symboliques) et aux relations technologie/organisation. En entreprise, ce champ d’études se situe au niveau des interactions entre les dirigeants et l’ensemble des parties prenantes de la décision stratégique. Il intervient aussi au niveau organisationnel dans les contextes collaboratifs d’innovations collectives et participatives.

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Pour approfondir…

100 fiches pour comprendre la stratégie d'entreprise, 2015, Jean-Louis Magakian et Marielle Audrey Payaud

 

Magakian, J.L., Payaud, 2015. 100 fiches pour comprendre les stratégies d’entreprise, 5è édition. Bréal, 286p. ISBN : 978-2749534619.
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