Trump, Brexit, le mouvement Occupy…. Les événements de ces dernières années nous ont montré que divers groupes de personnes à travers le monde sont privés de leurs droits et se sentent marginalisés.

 

Dans certains cas isolés, ce désengagement et cette méfiance vis-à-vis des politiciens et des institutions démocratiques donnent lieu à un mouvement populaire qui prend beaucoup d’ampleur – mais dans la plupart des cas, l’enthousiasme initial envers « la cause » ne parvient pas à engendrer un changement durable sur le long terme. Pourquoi ? Parce que le plus souvent, les gens ne s’organisent pas correctement sur la durée.

Les chercheurs ont d’ailleurs noté qu’on s’attend souvent à ce que les gens qui sont exclus ou qui risquent l’exclusion en termes de moyens d’existence ou de marchés du travail et du logement acceptent leur sort – ou, au mieux, comptent sur leurs efforts personnels pour changer leur situation.

Néanmoins, si l’on remonte 15 ans en arrière, on peut trouver un parfait exemple de la façon dont un groupe marginalisé a créé un mouvement qui, en rassemblant les individus, a considérablement amélioré leurs circonstances collectives.

En 2001, l’Argentine était en proie à une crise grave. Le gouvernement s’était effondré, le chômage était monté en flèche et une crise du logement généralisée s’en est suivie. Dans les années précédant 2001, les difficultés s’étaient accumulées et le chômage était en passe de devenir un problème en Argentine pour la première fois. Entre 1991 et 1995, le taux de chômage était passé de 6 % à 18,5 %. Dans le Grand Buenos Aires, le problème était encore pire, avec plus de 20 % des travailleurs sans emploi.

En conséquence, les gens ont commencé à se révolter contre le gouvernement, utilisant les barrages routiers comme principale forme de protestation. Au départ, la réponse du gouvernement consista à proposer des subventions de 150 $ aux protestataires en contrepartie d’un peu de travail. Bien que cette offre fût acceptée par bon nombre de personnes, un groupe, appelé le Mouvement des travailleurs sans emploi (Movimiento de Trabajadores Desocupados, ou MTD), a décidé en 2001 de rejeter ces aides au motif que le système facilitait simplement la situation pour les hommes politiques, sans réellement aider les travailleurs. Essentiellement, ce qu’ils souhaitaient était un vrai travail sérieux.

De ce fait, les membres du MTD décidèrent de revenir dans leur quartier et de travailler ensemble à soulager leurs problèmes. Ils formèrent la Cooperativa La Juanita et entreprirent de collaborer les uns avec les autres afin de créer des conditions de vie et un environnement de travail meilleurs. Ils commencèrent par instaurer un système de soupe populaire, puis établirent une boulangerie basique avec un four en argile et mirent sur pied un atelier textile de fabrication de vêtements.

La coopérative continua de prendre part aux protestations et manifestations – elle fut même présente au Forum social mondial qui se tint au Brésil en 2001 – mais ses efforts étaient largement axés sur l’amélioration du voisinage. Ils participèrent à une université populaire, dirigèrent une station de radio à visée sociale et en 2004, une école fut ouverte. En 2007, l’un des leaders les plus influents de la coopérative fut même incité à se présenter aux élections législatives en tant que Député national. Les hommes d’affaires et entrepreneurs locaux contactèrent même La Juanita pour s’engager dans des projets d’affaires communs.

De nos jours, la coopérative compte 52 membres qui travaillent à l’école, dans l’atelier de textile ou à la boulangerie, et qui proposent divers types de formation aux voisins. Certains ont des emplois en maintenance de systèmes informatiques et certains restent membres de la coopérative mais ont trouvé un emploi à l’extérieur.

Les gens de La Juanita se sont rendu compte que quand les temps sont durs et que l’argent fait défaut, les formes de protestation traditionnelles ne mènent pas très loin. Dans un monde où les efforts individuels sont souvent salués et considérés comme la meilleure manière d’améliorer sa situation, la coopérative a démontré que le fait de s’impliquer dans une politique ordinaire et ordinaire plutôt que dans des manifestations hautes en couleurs offrait l’opportunité d’améliorer les conditions de vie en dehors de la capacité d’intervention du gouvernement. C’était leur manière de trouver un sens dans un monde en train de se désagréger.

La politique ordinaire, c’est construire une école, une boulangerie ou un atelier de textile au lieu de porter un masque lors d’une marche de protestation, d’établir des barrages routiers ou de piller des magasins. La politique ordinaire est à même de fournir l’essentiel, d’améliorer les capacités et de renforcer la solidarité au sein d’une communauté. Les gens de La Juanita ont montré que la politique ordinaire du quotidien peut s’avérer le mouvement social le plus efficace de tous.

Ignasi Marti, emlyon business school

Ignasi Marti

Je suis professeur en théorie des organisations et en entrepreneuriat à emlyon business school, et responsable du département Stratégie et Organisations. J’ai obtenu mon PhD à l’IESE Business School, à l’université de Navarre. Mes recherches sont principalement axées sur la dignité, la résistance, l’entrepreneuriat, le pouvoir et la politique, et d’autres processus institutionnels. J’ai publié des articles dans des journaux tels que l’Academy of Management Journal, Journal of Business Venturing, Organization Studies, Entrepreneurship Theory & Practice, et Journal of Management Inquiry.

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Pour approfondir…

  • Fernandez, P., Marti, I., Farchi, T. (2017). Mundane and Everyday Politics for and from the Neighborhood. Organization Studies, 38 (2): 201-223. DOI: 10.1177/0170840616670438.
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