Un enfant anxieux et constamment embourbé dans ses propres peurs, peut complètement passer à côté de sa scolarité, échouant aux examens et, plus tard, dans sa vie professionnelle et personnelle. Mais heureusement pour lui, nous avons découvert un antidote à ce mal qui ronge petit à petit sa tête et son corps.

 

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DevonshireMedia/Flickr, CC BY-NC-ND

 

L’intelligence émotionnelle, une capacité mentale abrégé en QE (la première pour quotient, la deuxième pour émotionnel), permet de réguler efficacement nos émotions pour mieux appréhender certaines situations stressantes, voire paralysantes.

De nombreux résultats de recherche académiques montrent en effet qu’il est primordial, pour l’équilibre émotionnel des enfants et leur rapport a leurs peurs, de développer leur QE chez eux à la maison (principalement à travers la relation que leurs parents entretiennent avec eux), mais aussi à l’école, l’endroit où ils passent la plus grande partie de leur temps et où ils expérimentent l’essence même des relations sociales et des émotions qui vont avec.

À mon sens, c’est là où la malléabilité cérébrale de l’enfant est à son apogée (de la maternelle au lycée), que nous devons agir et réfléchir à la mise ne place de programmes de développement des compétences émotionnelles.

Chez 22 000 lycées américains, 75 % ont des ressentis négatifs

Ces programmes doivent permettre à l’individu en construction de lutter efficacement contre ses peurs et ses angoisses infondées. C’est sur ce socle psychiquement solide que prendra appui l’enfant pour se dresser, grandir et se transformer en adulte « bien dans ses pompes ».

Comme souvent, les États-Unis montrent la voie. Ainsi y a-t-il eu l’« appel » du 24 octobre 2015 dans le Connecticut. Un événement réunissant jeunes élèves, parents, professeurs, éducateurs, chefs d’établissements publics et privés, et chercheurs sur le QE s’est tenu ce jour-là dans un auditorium de la prestigieuse université de Yale.

Ce sommet avait pour nom « Emotion Revolution » et avait pour objectif de réveiller les consciences sur le rôle primordial que jouent les émotions dans l’éducation de nos enfants.

Une élève de la East Hartford High School, relatant son expérience du programme Emotion Revolution.
CT Senate Democrats/Flickr, CC BY-NC-ND

Une étude menée sur 22 000 lycéens américains fut notamment présentée. Interrogés sur la manière dont ils se sentent à l’école, 75 % d’entre eux répondent qu’ils ont des ressentis négatifs. Les trois premiers mots qui leur viennent en tête sont : fatigue (39 %), stress (29 %) et ennui (26 %).

Ceux qui ont affaire à des enseignants peu émotionnels, peu aidants et plutôt cassants ressentent de la peur, du désespoir et de la solitude, ce qui peut impacter négativement leur parcours scolaire, leur santé et, à terme, leur entrée dans la vie active.

Quand on leur demande comment ils voudraient idéalement se sentir au lycée, sortent de leurs bouches les mots : joie, excitation et l’idée d’être « réénergisés » par leurs professeurs, comme des batteries à plat qu’on rebranche au secteur.

Ceux qui se trouvent face à des profs engagés, émotionnellement positifs, délivrant des cours jugés utiles et pertinents, expérimentent en effet beaucoup plus d’émotions positives que la moyenne (intérêt, respect, joie) ; ce qui améliore grandement leur apprentissage et les maintient dans une bonne condition mentale et physique.

Pour une refondation éducative

Au moment de baisser le rideau, les organisateurs de cette journée ont donc appelé les chefs d’établissement à une refondation éducative, en les invitant à mettre en place des programmes pédagogiques innovants pour mener à bien cette « révolution émotion » dans la tête et le corps des enfants et adolescents.

Le programme d’apprentissage SEL (Social and Emotional Learning) a été cité à de nombreuses reprises. Il vise à éduquer émotionnellement les enfants de la pré-maternelle au lycée et est en plein développement dans les écoles américaines. Plus de la moitié d’entre elles l’ont déjà adopté.

L’apprentissage de l’intelligence émotionnelle bénéficierait à tous, élèves comme professeurs.
NWABR/Flickr, CC BY

Il serait souhaitable que ce type de programme puisse pénétrer les murs opaques et rationnels de la sacro-sainte Éducation nationale française, qui concentre surtout son enseignement sur le développement intellectuel de l’enfant (connaissances). Le développement physique et artistique n’étant que peu développé, et le développement social et émotionnel encore moins.

Pourtant, mettre en place un apprentissage autour du QE ferait le plus grand bien à tous, enseignants comme élèves. En maternelle, il est certes important que votre enfant connaisse quelques lettres et chiffres, qu’il soit propre et poli, qu’il sache s’habiller seul, mais aussi qu’il maîtrise des habiletés sociales et émotionnelles.

Apparu à la fin des années 1990, le SEL plonge les jeunes dans un environnement d’apprentissage qui favorise l’interaction sociale. L’objectif étant de les encourager à créer et à tisser des liens avec autrui, à être collaboratifs, à exprimer leurs émotions, à communiquer efficacement leurs besoins et leurs intentions tout en étant attentifs aux besoins d’autrui, à chercher le consensus, à gérer le conflit et à affronter leurs peurs. Rien de tel pour parfaire sa connaissance de soi et des autres !

Des enfants qui vont mieux et ont de meilleurs résultats

Pour ce faire, plusieurs méthodes sont mises en place, comme des jeux de rôle, des activités artistiques, des stimulations sensorielles, ou encore des jeux dramatiques. Avec, en filigrane, l’utilisation récurrente d’outils numériques et des nouvelles technologies.

Des chercheurs se sont intéressés aux bienfaits concrets de ce programme. Ils ont compilé pas moins de 213 études scientifiques sur le sujet (75 % d’entre elles ont été publiées au cours des vingt dernières années), impliquant 270 034 enfants (57 % d’enfants en maternelle et primaire, 31 % de collégiens, et 13 % de lycéens).

Leur conclusion est sans appel : les enfants ayant suivi un programme SEL ont développé significativement leurs compétences émotionnelles. Il apparaît notamment qu’ils sont capables, bien plus que ceux ayant suivi un cursus scolaire standard, de réguler leurs émotions, de savoir attendre leur tour, de gérer leur anxiété, leur stress, et de résoudre les conflits en négociant plus subtilement et habilement.

Des élèves qui vivent mieux… heureux, tout simplement.
OakleyOriginals/Flickr, CC BY

Ils sont plus empathiques, détectent plus facilement les émotions chez eux et chez autrui, sont de manière générale plus positifs et plus respectueux. Ils sont aussi moins sujets à la dépression, moins agressifs et violents. Ils commettent moins d’actes de délinquance. Ils ont plus confiance en eux, affirment leur « leadership », prennent plus facilement des décisions « responsables » sans peur de l’échec, développent un goût prononcé pour la justice sociale et, comme dirait Jean-Pierre Bacri, un certain goût des autres.

Ils ont en outre de meilleurs résultats scolaires que la moyenne. Les chercheurs ont même pu chiffrer leur progression académique : un enfant ayant suivi un programme SEL augmente de 11 % ses notes en maths et en lecture. Une étude complémentaire menée sur 667 lycéens révèle que ceux au QE élevé obtiennent des meilleurs scores de GPA – qui compte pour accéder aux universités les plus prestigieuses aux États-Unis.

Notez que tous ces effets bénéfiques – que l’enfant ait suivi le programme SEL quelques mois seulement ou un an ou plus – durent dans le temps. D’ailleurs, une étude a révélé que des programmes semblables au SEL, mis en place dans 13 classes « tests » pendant six semaines, ont permis d’augmenter significativement le QE des élèves, améliorant de fait leur capacité à gérer leur anxiété et à se montrer adaptables à leur environnement.

Développer l’émotionnel reviendrait à diminuer les coûts de santé

Pour mettre en place de tels programmes, pas besoin de faire appel à une équipe de choc. Les chercheurs montrent en effet que dans les écoles, l’équipe en place est tout à fait capable, à condition d’être formée en amont.

D’ailleurs, lorsque le programme est porté par le personnel existant, celui-ci est encore plus efficace que si l’école avait mandaté des prestataires extérieurs. Les chercheurs ont également démontré qu’il est aussi efficace dans les écoles en ville, en banlieue et en province : pas d’élitisme donc à adopter ce type de pédagogie !

Ce type de formation apporte également des bénéfices sur le long terme. Une étude récente menée en Belgique a démontré qu’inclure une formation visant à développer les compétences émotionnelles dans les écoles permet d’augmenter de 10 % le score de QE des élèves et reviendrait à diminuer, à terme, les coûts en soins de santé de 10 % !

Rendez-vous compte : éduquer émotionnellement nos enfants pourrait contribuer à réduire le déficit de la Sécurité sociale, largement creusé par les troubles anxieux que rencontrent beaucoup d’entre nous (et leurs effets secondaires, notamment somatiques) !

Qu’attendons-nous pour promouvoir cette intelligence si utile au XXIe siècle et qui ne requiert pas la mise en place de dispositifs lourds et coûteux ?


The ConversationCertains passages, parfois modifiés, sont extraits du dernier livre de Christophe Haag : « Contre nos peurs, changeons d’intelligence ! » (Albin Michel, 2017).

Cet article est publié dans le cadre de l’audio-MOOC « Le manager émotionnellement intelligent » , proposé par Christophe Haag et disponible gratuitement tout l’été.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Christophe Haag, emlyon business school

Christophe Haag

Je suis professeur en comportement organisationnel, une branche de la psychologie sociale. Le champ qui m’intéresse est le cerveau humain et tout particulièrement l’utilisation « intelligente » de nos émotions et de notre intuition dans la vie de tous les jours. Ma motivation première, en tant que chercheur est d’essayer de décrypter le Da Vinci Code de notre sixième sens. Je travaille pour cela avec des populations atypiques comme des artistes (écrivains, réalisateurs de cinéma, comédiens), des anciens membres du RAID ou des gradés de l’Armée, des neuroscientifiques, des neuropsychiatres, des phoniatres, des chefs d’entreprises du CAC 40 et de PME, des journalistes TV et radio. Mon objectif est de rendre les découvertes scientifiques accessibles au plus grand nombre.

Plus d’informations sur Christophe Haag :
• Son CV en ligne
• Son blog
• Son profil ResearchGate


Pour approfondir…

Christophe Haag a publié plusieurs ouvrages :

Christophe Haag, Génération Q.E.

 

Haag, C., Seguela, J. (2009). Génération Q.E. Pearson, 240 p. ISBN 978-2744063596.
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Christophe Haag, La Poulpe Attitude

 

Haag, C. (2011). La poulpe attitude. Michel Lafon, 278 p. ISBN 978-2749914923.
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Christophe Haag, Vox Confidential

 

Haag, C. (2013). Vox confidential. Michel Lafon, 215 p. ISBN 978-2749920757.
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Contre nos peurs - C. Haag
Séguéla, J., Haag, C. (2017). Contre nos peurs, changeons d’intelligence! Albin Michel, 240 p. ISBN 978-2226391902.
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Il est également l’auteur de nombreux articles académiques :

  • Sala, G., Haag, C. (2016) Comment vaincre l’anxiété en situation extrême ? Les secrets de la Force Intervention du GIGN, unité d’élite de la gendarmerie nationale. Revue Française de Gestion, Forthcoming.
  • Sinaceur, M., Kopelman, S., Vasiljevic, D., Haag, C. (2015) Weep and get more : When and why sadness expression is effective in negotiations. Journal of Applied Psychology, 100 (6), 1847-1871. DOI org/10.1037/a0038783.
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  • Haag, C., Fresnel, E. (2015) Implementing Voice Strategies in Extreme Negotiations: A conversation with Christophe Caupenne, successful former commando of the French RAID unit. Organization Management Journal, 12 (1), 4-12 P. DOI 10.1080/15416518.2014.974731.
    Lire le résumé
  • Coget, J.F., Haag, C., Gibson D.E. (2011) Anger and fear in decision-making: The case of film directors on set. European Management Journal, 29 (6), 476-490. DOI org/10.1016/j.emj.2011.06.003.
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  • Sinaceur, M., Van Kleef, G.A., Neale, M.A., Adam, H., Haag, C. (2011) Hot or cold: Is communicating anger or threats more effective in negotiation? Journal of Applied Psychology, 96 (5), 1018-1032. DOI org/10.1037/a0023896.
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  • Haag, C., Coget, J.F., Melkonian, T. (2011) Top-level communication: behind the scenes with famous French spin doctor Jacques Seguela. Organization Management Journal, 8 (3), 167-179. DOI 10.1057/omj.2011.28.
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  • Haag, C., Coget, J.F. (2010) Leading creative people: Lessons from advertising guru Jacques Séguéla. European Management Journal, 28 (4), 278-284. DOI org/10.1016/j.emj.2010.05.007.
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  • Sinaceur, M., Thomas-Hunt, M., Neale, M.A., O’Neill, O.A., Haag, C. (2010) Accuracy and perceived expert status in group decisions: When minority members make majority members more accurate privately. Personality and Social Psychology Bulletin, 36 (3), 423-437. DOI
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  • Haag, C., Laroche, H. (2009) Dans le secret des comités de direction, le rôle des émotions : proposition d’un modèle théorique. M@n@gement, 12 (2), 82-117. DOI 10.1177/0146167209353349.
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  • Coget, J.F., Haag, C., Bonnefous, A.M. (2009) Le rôle de l’émotion dans la prise de décision intuitive : zoom sur les réalisateurs-décideurs en période de tournage. M@n@gement, 12 (2), 118-141. DOI
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