Comment une start-up finlandaise imagine le « supermarché intelligent »

 

Les supermarchés sont un secteur qui pose souvent problème aux spécialistes du marketing car les consommateurs prennent 70 % de leurs décisions d’achat une fois en magasin. Autrement dit, bon nombre des messages marketing adressés aux clients chez eux, dans leur voiture ou sur leur lieu de travail se révèlent inutiles.

 

À une époque où les marques ont de plus en plus recours au numérique pour faire passer leurs messages marketing, pénétrer les espaces physiques où les consommateurs sont les plus réceptifs aux suggestions s’avère particulièrement difficile. Si la majeure partie des décisions sont prises lorsque le client se trouve dans le magasin, à parcourir les allées, comment faire pour les influencer à ce moment-là ? Rendre le supermarché plus « intelligent » constitue un élément de réponse intéressant  mais sa concrétisation n’est pas des plus évidentes.

Expérimentations tous azimuts

Récemment, Amazon GO – un magasin intelligent sans caisses – a fait le buzz. Mais le coût du matériel nécessaire à son fonctionnement, – détecteurs de mouvements, caméras et autres – semble prohibitif pour un déploiement à large échelle. Pour le moment, seul un magasin haut de gamme implanté à Seattle en est équipé.

De son côté, Adobe teste actuellement un système permettant aux marques d’atteindre les consommateurs en temps réel par le biais de leurs téléphones portables. Encore faut-il que les consommateurs donnent leur accord pour qu’Adobe accède à leurs appareils mobiles et leur suggère des publicités en fonction de leurs données personnelles. Avec l’entrée en vigueur imminente du RGPD, ainsi que la méfiance croissante des consommateurs, j’ai du mal à croire que ce système puisse fonctionner de manière efficace.

Un autre exemple pourrait s’avérer plus prometteur. Il s’agit de Smartcart, une petite start-up finlandaise de haute technologie, qui propose aux acheteurs une plateforme numérique transparente, semblable à un iPad, physiquement fixée à chaque caddy du magasin. Elle réagit aux mouvements du client, à ses préférences en matière de produits et, comme une sorte de « Google » du supermarché, permet aux clients de rechercher des produits et de les localiser. Elle contient tous les produits, leurs prix et leur disponibilité et peut contribuer à créer une liste de courses facile à utiliser. Elle va même jusqu’à suggérer des recettes selon les ingrédients. Actuellement, cette solution est présente dans 40 villes, auprès de 50 grandes et moyennes surfaces en Finlande, mais projette déjà de se développer à l’international.

Vers une transformation de l’expérience en supermarché

Depuis 2016, au sein du Lifestyle Research Centre, nous suivons avec intérêt la startup finlandaise dans le cadre de nos recherches sur l’impact des nouveaux médias numériques sur l’évolution des habitudes de consommation dans les magasins, ainsi que sur la perception qu’ont les clients de ces tactiques marketing. C’est ainsi qu’en début d’année, en collaboration avec les agences de recherche Kuulas Helsinki et Sailer, nous avons mené l’étude de marché du commerce numérique la plus vaste jamais réalisée en Finlande.

Nous avons étudié huit supermarchés finlandais, tous équipés du dispositif Smartcart. Nous avons recueilli des données auprès de 761 consommateurs et filmé 100 « parcours consommateurs ».  Et les résultats se sont révélés extrêmement intéressants. 57 % des participants ont déclaré que les offres produits et les publicités qui leur étaient proposées étaient utiles. Ce sont les 18-24 ans et les personnes âgées de 45 à 65 ans qui ont trouvé les publicités les plus utiles. Les femmes de 50 à 55 ans quant à elles s’intéressaient le plus au contenu vidéo. En revanche, seuls 14 % des participants ont affirmé qu’ils préféreraient recevoir des publicités sur des réseaux sociaux de type Facebook.

Trois groupes de consommateurs identifiés

L’étude a également mis en évidence trois groupes de consommateurs distincts, avec leurs propres préférences. Les consommateurs sensibles aux prix sont ceux qui recherchent avant tout les prix bas, tandis que les acheteurs déterminés sont plus soucieux d’optimiser le temps passé en magasin. Ces deux groupes n’étaient réceptifs qu’aux idées et aux suggestions qui leur permettaient d’atteindre ces objectifs précis. Toutefois, le troisième groupe, à savoir ceux en quête d’expérience, étaient motivés par l’exploration de nouveaux produits, les idées de recettes, les promotions en magasin et, plus intéressant encore, les suggestions originales susceptibles de les inspirer. Ce groupe souhaite activement recevoir des informations qu’il ne connaîtrait pas autrement. Naturellement, c’est ce groupe qui a réagi le plus favorablement à la proposition de la startup.

En conclusion, dans un monde où les consommateurs attendent de plus en plus que la publicité soit bien ciblée et adaptée à leurs besoins, il apparaît que le « supermarché intelligent » constitue la prochaine étape. Néanmoins, au regard de la méfiance toujours croissante des consommateurs quant à l’utilisation de leurs données, il est clair que les professionnels du marketing ont des obstacles de taille à franchir pour les convaincre de intérêt du « supermarché intelligent ».

C’est sans doute pour cette raison que la proposition de Smartcart constitue à l’heure actuelle l’une des options les plus prometteuses. Elle profite à la fois au client et au spécialiste en marketing, sans parler du commerçant. Les clients obtiennent des informations utiles quand ils en ont le plus besoin ou envie. Les marques ont l’occasion de faire passer leur message auprès des consommateurs au moment où ils sont le plus susceptibles d’être influencés. Pour moi, c’est une formule gagnante – mais seul l’avenir nous le dira !


Cette étude a été présentée par Margherita Pagani lors du « Digital Lifestyle Research day » qui a eu lieu le 4 décembre 2017 à emlyon business school, Ecully. Joonas Rokka, emlyon business school

Joonas Rokka

Professeur en marketing et directeur du Lifestyle Research Center, j’enseigne la stratégie de marque, les marchés de consommation et les modes de vie des consommateurs, l’expérience de service et la communication, en abordant notamment le Web marketing et des médias sociaux. Mes travaux de recherche portent également sur la stratégie de marque mais aussi sur l’expérience et la culture des consommateurs, les médias numériques et les méthodes de recherche visuelles créatives. Dans ce cadre, j’expérimente des méthodes audiovisuelles innovantes comme la vidéographie permettant de donner à voir la complexité des expériences menées : temporalité, espace, mouvement, etc.

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