Par Mar Perezts, Professeur en management et ressources humaines à emlyon business school, et Thomas Simon, Etudiant en master recherche à emlyon business school et Université Lyon 3 et auteur du mémoire intitulé « L’ennui entre destruction et création : le cas des réunions de travail ».

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Qui ne s’est jamais ennuyé en réunion ? Souvent marquées par la passivité et l’inaction des participants, les réunions sont des lieux privilégiés pour étudier l’ennui, un phénomène aussi complexe que tabou. Tantôt langueur physique ou vague à l’âme, l’ennui est fondamentalement ambivalent.

 

Les réunions : entre obligation et inefficacité

Occupant une place centrale dans les sociétés humaines, les réunions se sont imposées dans le paysage managérial comme moyens de diffusion d’informations et de prises de décisions. Elles sont devenues un point de rencontre et un passage obligé pour managers et salariés. Réunions d’équipe, commissions, assemblées générales, visioconférences ou encore workshops, les réunions fleurissent et prennent des formes variées pour y développer la synergie ou l’esprit d’équipe. Elles sont même devenues un remède omniprésent, au risque de sombrer dans la « réunionite », sorte de manifestation symptomatique d’une obsession pour les réunions. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant qu’un cadre passe jusqu’à 16 ans de sa vie en réunion (étude du cabinet Perfony de février 2014).

En plus d’être nombreuses et régulières, toutes les réunions sont loin d’être efficaces. Manque de dynamisme, monotonie, longueur. Tels sont les griefs régulièrement faits par les participants. L’ennui n’est alors jamais loin et la réunion devient une comédie où l’on dissimule une réalité difficile à accepter : la réunion est devenue un lieu où on peut venir s’ennuyer ensemble.

Étudier l’ennui en réunion : de l’ennui ponctuel au bore-out

Dans le cadre d’un projet de recherche en cours, nous nous sommes penchés sur cette expérience partagée par de nombreux salariés qu’est l’ennui en réunion.

Si ces réunions sont à intervalles réguliers et à horaires fixes (souvent hebdomadaires, le lundi matin ou le vendredi après-midi), que le contenu est prévisible et répétitif sur un format descendant, qui plus est en utilisant un vocabulaire nébuleux en langue étrangère, vous avez la recette idéale pour des réunions ennuyeuses. Résultat : le participant décroche.

En nous appuyant sur des observations de réunions et des entretiens avec leurs participants dans des cadres organisationnels divers, cette recherche nous a permis d’aller au-delà du caractère tabou de l’ennui, qui reste difficile à avouer et encore plus à verbaliser. Ce sont alors souvent les corps qui parlent d’eux-mêmes : posture affaissée, regard davantage attentif au téléphone portable qu’au manager qui parle ou au contraire regard perdu dans une rêverie qui vagabonde.

On a pu identifier que lorsqu’il est ressenti sur de courtes périodes, l’ennui se fait moment de respiration et trésor de créativité. En agence bancaire, Ludovic décrivait ainsi ces instants de décrochage : « quand on s’évade, c’est toujours dans la réflexion et dans un moment qui est posé, qui est destiné, je ne vais pas dire quasiment à ça, mais pas loin. Donc oui, ça arrive d’avoir de bonnes idées. »

À l’inverse, dès que l’ennui tend à perdurer, il peut s’avérer destructeur jusqu’à devenir cet « infini des âmes pourries » décrit par le philosophe Émil Cioran (Précis de décomposition, 1977 [1949], p. 25), voire conduire au bore-out [1], ou syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui.

Interrogée sur des réunions dans une institution d’enseignement supérieur, Jessica nous confiait qu’un ennui qui s’éternise « c’est complètement négatif, parce qu’au départ ça ne fait pas avancer, et de deux, ça fait perdre du temps à tout le monde (…) ça n’a aucun intérêt, c’est une perte de temps pure et simple. »

Vers de nouvelles façons d’organiser les réunions ?

L’ennui oscille donc entre création et destruction selon un subtil jeu d’équilibriste. Même si toute forme d’ennui en réunion n’est pas nécessairement à proscrire, certaines pratiques managériales peuvent facilement contribuer à rendre les réunions moins ennuyeuses, donc plus efficaces et dynamiques.

Il est d’abord nécessaire de définir les objectifs d’une réunion pour éviter le travers des « réunions invertébrées » [2]. Une réunion bien menée se caractérise par un ordre du jour clair et précis défini à l’avance. Les managers peuvent également opter pour une flexibilité dans l’agenda des réunions : se réunir en fonction des besoins et non plus à dates fixes. Une autre piste est de rompre avec le format assis des réunions en les organisant debout et en favorisant les déplacements spatiaux. Les présentations monotones peuvent laisser la place à des formats originaux capables de capter l’attention de chacun. Pour dynamiser les réunions, la start-up Klaxoon a par exemple créé un boîtier avec de nombreux logiciels qui proposent des quiz en direct et des sondages interactifs pour permettre à tout le monde de s’exprimer, rendant ainsi ludique l’implication des participants. Une autre façon de procéder est de responsabiliser chacun en assignant différents rôles (gardien du temps, animateur, scribe…). Enfin, il est essentiel de privilégier les petits groupes de travail pour favoriser les interactions fécondes.

Autant de petites idées qui peuvent faire évoluer des réunions sclérosées.

 


[1] Bourion, C. (2016), Le Bore-out syndrom : quand l’ennui au travail rend fou, Albin Michel, coll. Essais Doc.

[2] Noyé, D. (2005), Réunionite : guide de survie : Pour améliorer la qualité des réunions, Julhiet INSEP Consulting Éditions, coll. Basic, p. 14


Cet article a préalablement été publié dans la revue Courrier Cadres n°111 (oct-nov 2017).

Mar Perezts, emlyon business school

Mar Perezts

Professeur de management, je poursuis une recherche transversale en croisant les problématiques gestionnaires et organisationnelles telles que l’éthique des affaires avec des approches puisées dans la philosophie et la sociologie. Mes travaux ont été publiés dans le Journal of Business Ethics, Organization et le European Management Journal, pour lesquels je suis relectrice. Je suis également membre du Centre de Recherche OCE (Organisations, Carrières et nouvelles Elites).

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