Lorsqu’elle explique que ses recherches sont axées sur l’éthique dans les secteurs bancaire et financier, Mar Pérezts, se heurte souvent à des remarques empreintes de sarcasme du genre : « L’éthique dans le secteur bancaire ? Vous ne lisez pas les journaux ? » Et pourtant, malgré le cynisme affiché, l’éthique dans les services financiers – ou son absence – reste un sujet qui fascine.

 

Mar Pérezts a étudié les attitudes vis-à-vis de l’argent dans différentes cultures et à travers l’histoire. Elle se penche sur les raisons qui ont donné naissance à une vision si négative des services financiers. Elle explique pourquoi l’approche, de plus en plus critique adoptée par les jeunes professionnels vis-à-vis de leur fonctionnement, devrait être encouragée si l’on souhaite que cette perception d’un « argent sale » évolue enfin.

L’argent, un produit neutre ?

Au fil des siècles et à travers de nombreuses cultures, l’argent, ainsi que ceux qui en font le commerce, est devenu entaché, perçu comme quelque chose de souillé et sordide. Déjà, au 4ème  siècle avant Jésus-Christ, le philosophe grec Aristote condamnait l’usure. Le concept même de prêter de l’argent contre des intérêts a longtemps été considéré avec réprobation par la plupart des grandes religions du monde. Et pourtant, comme le disait l’empereur romain Vespasien, « Pecunia non olet » : l’argent n’a pas d’odeur. Or, est-ce vraiment le cas ? L’argent est-il un produit réellement neutre ? Est-il à même de susciter aussi bien des actes immoraux, tels que le blanchiment et les jeux d’argent, que de façonner positivement les sociétés, comme par exemple via des infrastructures ou l’éducation ? Compte tenu de cette ambiguïté, peut-on s’étonner de ce que nous soyons prompts à juger le secteur financier comme une arme à double tranchant, combinant pureté et pollution ?

Faire le ménage

Les gouvernements du monde entier tentent, depuis de nombreuses années, de « remettre de l’ordre » dans le secteur des services financiers. Le gouvernement américain, par exemple, a instauré ses services dédiés à la lutte contre la contrefaçon dès 1865. Pourtant, en dépit de mesures telles que la déclaration de Bâle en 1988 ou la création du Groupe d’action financière en 1989 par le G7, nous avons connu une apocalypse financière en 2007, révélant un degré inouï d’irresponsabilité et de corruption. La réaction a été d’adopter un nombre encore accru de réglementations et de mesures, visant à la création d’un régime d’interdiction efficace au niveau mondial. La dénonciation a été encouragée. Les missions de régulateurs et de spécialistes de la conformité se sont professionnalisées. Les praticiens financiers ont dû endosser la responsabilité, non seulement de leurs propres actes, mais aussi de ceux de leurs clients.

Le spectre de la « normophrénie »

Le problème d’une augmentation constante du nombre de règles, de réglementations, de codes et de procédures d’exécution, est que cela finit par engendrer un niveau de bureaucratie tel qu’il étouffe l’activité qu’il est censé protéger. C’est ce que Mar Pérezts appelle la « normophrénie ». Nous nous retrouvons alors dans un monde où la règle de la loi est remplacée par la loi des règles. À moins de revenir à des temps plus simples, où les affaires financières étaient conclues d’une poignée de main dans un confortable club-house, aucun système de réglementation ne peut être véritablement efficace. Dans un système mondialisé où les marchés connaissent des milliers de transactions par seconde, seuls les individus peuvent faire la différence.

Le facteur humain

Si tel est le cas, il appartient aux universités et aux écoles de management de veiller à ce que les bonnes personnes, avec les bonnes attitudes, soient en position de faire cette différence. La question n’est pas d’inculquer des attitudes qui seraient plus altruistes ou bienfaisantes. Il ne s’agit pas non plus de promouvoir quoi que ce soit de semblable au fameux serment d’Harvard, instauré à l’époque sombre de la crise financière. Il s’agit plutôt d’encourager les étudiants décidés à devenir des professionnels de la finance à remettre en question les pratiques, les procédures et les dogmes établis dans ce secteur pour agir selon leurs conclusions. En abordant les problèmes potentiels directement au point charnière où ils se produisent, plutôt que par le biais d’un ensemble de règles bureaucratiques imposées, nous pourrions assister au développement d’un secteur de services financiers véritablement robuste et durable. Un domaine financier au sein duquel l’éthique viendrait s’enraciner car elle serait considérée comme bénéfique pour le secteur et sa longévité commerciale.

Mar Perezts, emlyon business school

Mar Perezts

Professeur en management, je poursuis une recherche transversale en croisant les problématiques gestionnaires et organisationnelles telles que l’éthique des affaires avec des approches puisées dans la philosophie et la sociologie. Mes travaux ont été publiés dans le Journal of Business Ethics, Organization et le European Management Journal, pour lesquels je suis relectrice. Je suis également membre du Centre de Recherche OCE (Organisations, Carrières et nouvelles Elites).

Plus d’informations sur Mar Perezts :
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Pour approfondir…

  • Perezts, M. (2015). Dirty Hands and Dirty Money: Insights on the construction and the fighting of financial pollution through compliance practices. Finance & the Common Good / Bien Commun.

Cet article est finaliste du prix Robin Cosgrove – Ethique en finance, édition 2014-2015