Les réseaux sociaux représentent des enjeux économiques et d’image conséquents pour les marques, engagées dans une course quantitative à l’augmentation de leur base de followers. Mais quantité ne rime pas toujours avec qualité. L’audience d’une marque sur les réseaux sociaux est une chose. Disposer d’une communauté de marque pérenne et source de valeur en est une autre.

 

Vraie communauté de marque

Le modèle de fonctionnement des réseaux sociaux repose sur la capacité d’une marque à générer d’importantes audiences (nombre de « Like », de (re)tweets, de followers, de vues, …). Celles-ci sont trop fréquemment et hâtivement qualifiées de « communautés ». Mais ces audiences sont très fluctuantes et peu engagées, a contrario d’une réelle communauté de marque. Cette dernière se définit comme un groupe pérenne de consommateurs partageant une fidélité extrême pour une marque et s’engageant durablement pour sa promotion et son développement. Les personnes qui en font partie se connaissent. Elles construisent entre elles des liens émotionnels forts qui renforcent leur attachement à la marque et leur sentiment d’appartenance en échangeant assidûment à distance et en se rencontrant dans la « vraie vie ».

Ces échanges suivis construisent une culture spécifique, avec son vocabulaire, ses références distinctives et des comportements reconnaissables. Cette culture est source de singularité et de fierté pour ses membres qui ne se considèrent pas comme des consommateurs « ordinaires ». Elle présente un intérêt pour la marque car elle est tournée autour de ses produits ou services et qu’elle est partagée par tous les membres de la communauté.

Un laboratoire d’innovations

De ce fait la communauté de marque constitue un très bon laboratoire d’expérimentations. Extrêmement engagés, les membres connaissent très bien les produits ou services de la marque et proposent souvent des améliorations, voire des innovations. A contrario du crowdsourcing par exemple, qui génère un flux d’idées de tous horizons et non filtrées suite à une sollicitation, les membres de la communauté proposent de manière proactive des améliorations qualifiées, souvent préalablement expérimentées et même prototypées. C’est pourquoi, nombre de marques s’appuient sur leurs communautés de marque pour leur R&D (Michel et Augustin, BlackDiamond, Petzl, ou encore Patagonia).

Cependant, la pérennité de la communauté n’est jamais acquise. Elle demande un entretien soigné et régulier des liens sociaux entre membres. Les réseaux sociaux constituent un outil supplémentaire, nécessaire mais non suffisant, car leur usage est banalisé et ne permet pas de cultiver la singularité de la communauté. Ils apportent une facilité d’échanges, la possibilité de partager rapidement des contenus variés (textes, photos, vidéos), mais les membres de véritables communautés de marque mixent les canaux de communication.

Les communautés comme Harley Davidson, Lexus, Canon ou Lego perdurent parce qu’elles incitent leurs membres à participer à des activités communautaires, en ligne et en face-à-face. Ces interactions régulières sont clés. Elles entretiennent l’esprit et l’identité collective en renforçant l’intérêt des membres pour la communauté.

L’ensemble des échanges entre membres, off et online, produit un bouche-à-oreille significatif, positif et inscrit dans la durée pour la marque, ses produits et ses services. À la différence des followers des réseaux sociaux qui expriment des avis contrastés, parfois négatifs – voire violents – et épisodiques du fait d’un attachement à la marque et d’une implication plus faibles.

Valoriser la communauté

Une autre caractéristique de l’engagement des membres d’une communauté est leur motivation à aider les autres utilisateurs de la marque et mettre à disposition un contenu important et qualitatif. La marque Microsoft, par exemple, a bien compris l’intérêt de ces personnes motivées et a créé le statut de MVP (Most Valuable Professional) afin de récompenser les membres particulièrement impliqués et produisant un contenu important. Ces MVP sont des auxiliaires importants de la relation client en fournissant aux utilisateurs de la marque une aide désintéressée et précieuse.

Enfin, pour la pérennité de la communauté, il est crucial que les membres se sentent considérés et valorisés par la marque. Pour cela rien de mieux pour les membres que de pouvoir rencontrer des représentants de la marque, visiter ses locaux ou essayer des produits en avant-première. Sur ce terrain, les réseaux sociaux ne peuvent pas concurrencer ces pratiques. Ces signes de reconnaissance permettent d’entretenir la relation entre la marque et les membres de la communauté et de prendre ses distances par rapport à l’aspect commercial de la relation. La logique communautaire est basée sur l’attachement des membres et leur envie de partager leur passion. Il est donc primordial que les membres ne perçoivent pas leurs activités comme une forme de « travail » sous peine de remettre en question leur investissement dans la communauté.

La création et l’entretien d’une réelle communauté de marque, durable et créatrice de valeur n’est possible qu’en faisant du community management un enjeu stratégique, doté de réels moyens, humains et financiers. Les réseaux sociaux peuvent constituer un moyen d’entretenir le dialogue avec la communauté de marque mais ne sauraient suffire, seuls, à entretenir sa force et sa pérennité.

 


La version originale de cet article a été publiée dans le numéro d’avril-mai 2018 de la revue Courrier Cadres.

Lionel Sitz, emlyon business school

Lionel Sitz

En tant que professeur j’enseigne principalement le branding, le comportement du consommateur, la sociologie et l’anthropologie de la consommation. En tant que chercheur, je travaille sur les communautés de marque, les relations entre ethnicité et consommation, la résistance des consommateurs et les expériences de magasinage. Je m’intéresse en particulier au statut des marques dans notre culture, aux modes de vie dans une société connectée, à la passion des consommateurs et aux relations entre ethnicité et consommation, … Ce faisant, j’aborde des dimensions telles que les mouvements sociaux de consommateurs, la construction d’identités collectives, la sociologie, l’anthropologie et la vidéographie.

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Pour approfondir…

  • Amine, A., Sitz, L. (2007). « Emergence et structuration des communautés de marque en ligne. » Décisions Marketing,  46, 63-75.
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  • Sitz, L. (2008). « Les mondes de marque : L’exemple du monde Apple. » Décisions Marketing, 52, 19-30.
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