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« le point clé n’est pas l’incident, mais le mécontentement exprimé par le client »

 

Qu’est-ce que la garantie de service ?  Dans quelles circonstances est-elle déclenchée ? Pourquoi n’empêche-t-elle pas toujours la rupture de la relation avec le client ? Décryptage avec Brigitte Auriacombe, professeur de marketing et auteur de l’article « L’utilité d’une garantie de service » publié dans la revue Décisions Marketing.

 

Quel est le thème de ton article ?

Cet article étudie les conditions d’utilisation de la garantie de service. Basé sur une étude qualitative, menée auprès des collaborateurs d’une entreprise de travail temporaire, il entend répondre à trois questions : dans quelles circonstances la garantie de service est-elle invoquée ? De quelle manière ? A quelle compensation aboutit-elle ?

Qu’appelle-t-on exactement la garantie de service?

Une garantie c’est l’association d’un engagement et d’une compensation en cas de défaillance de l’engagement. La particularité de certaines garanties de service est qu’elles sont subjectives : l’engagement repose sur un jugement, la compensation prend la forme d’une correction du service, complétée d’un dédommagement financier. Dans le cas de l’entreprise de travail temporaire étudiée, si le client juge que l’intérimaire délégué ne fait pas l’affaire, la société s’engage à proposer un nouveau candidat dans la demi-journée. A défaut, elle propose un dédommagement financier.

En quoi ton approche offre-t-elle une nouvelle compréhension du mécanisme de déclenchement de la garantie de service ?

Jusqu’à présent, le déclenchement de la garantie a été très peu étudié. La grande majorité des travaux de recherche ont porté sur la capacité de la garantie à signaler la qualité et à influencer la décision d’achat du client. Ces travaux ont étudié l’effet « pré-achat » de la garantie.

La nouveauté de cette étude est qu’elle porte sur les effets « post-achats » de la garantie. Concrètement, comment font le client et le personnel en contact pour déclencher la garantie lorsqu’ils constatent que l’engagement n’est pas tenu ? Quand, pourquoi et comment utilisent-ils la garantie ? Qui prend l’initiative et pour quel résultat ?

Comment as-tu procédé ?

Je me suis appuyée sur des entretiens et de l’observation in situ. Le recueil des données a permis de rassembler 43 cas réels. Tous sont des situations dans lesquelles un incident constaté par un client a donné lieu à une correction du service par le personnel en contact et/ou à la proposition d’un dédommagement financier, en cohérence avec ce que prévoit la garantie.

Pour analyser ces cas, j’ai utilisé deux méthodes issues de la sociologie : l’analyse du discours et l’analyse de conversation. Elles m’ont permis de comprendre pourquoi, dans certains cas, le client et le salarié agissent en référence à la garantie, alors que dans d’autres, ils n’y pensent même pas. Cette approche m’a également permis de comprendre pourquoi ils font tantôt un usage heureux, tantôt malheureux de la garantie. Autrement dit, elle m’a permis d’appréhender les « bonnes » raisons – du point de vue des protagonistes – au nom desquelles ils agissent. Elle met aussi en lumière les cadres de références utilisés par les personnes pour interpréter les situations, décider et agir.

 Quels types de situations as-tu pu mettre en évidence?

En premier lieu, il est intéressant de constater que ce n’est ni la nature ni la gravité de l’incident qui détermine l’invocation de la garantie. C’est la manière dont le client relate l’incident qui compte. La garantie est invoquée dans les situations où le client exprime ouvertement son mécontentement vis-à-vis du prestataire. Elle suscite alors la remise d’un dédommagement financier. Au contraire, en l’absence du mécontentement explicite du client, l’incident donne lieu à une correction du service, sans référence à la garantie.

En second lieu, deux scénarios d’invocation apparaissent. Dans le premier, appelé la « reconnaissance », l’invocation de la garantie et la remise du dédommagement permettent de surmonter l’incident et de conserver la fidélité du client. Dans le second, appelé le « conflit », la remise du dédommagement n’empêche pas la rupture de la relation.

Pourquoi des incidents similaires donnent-ils lieu à des processus d’invocation différents ?

Là encore, le point clé n’est pas l’incident, mais le mécontentement exprimé par le client. Ce qui fait la différence entre les deux scénarios, c’est la façon dont le salarié interprète ce mécontentement.

Lorsqu’il l’interprète comme légitime, c’est de bonne grâce qu’il fait le geste de remettre un dédommagement financier. C’est ce que j’appelle la situation de « reconnaissance ». Au contraire, si le mécontentement lui apparait abusif, il fait le geste de mauvaise grâce, délibérément. C’est la situation de « conflit ».

Reste à comprendre pourquoi le mécontentement du client donne lieu à des interprétations opposées… Tout dépend de quel point de vue le personnel considère l’incident et le mécontentement qui s’en est suivi. S’il le regarde en fonction des conditions de production du service, il a tendance à juger l’incident comme un peu inévitable et ne relevant pas exclusivement de sa responsabilité. Dans ce cas, le mécontentement du client lui apparait injuste. Au contraire, s’il le regarde en fonction du préjudice que l’incident constitue pour le client, le mécontentement peut apparaitre pleinement fondé. Il justifie à ses yeux un geste de « reconnaissance ».

D’un point de vue managérial, quelles conclusions peut-on tirer de cette étude?

Ces résultats démontrent que la garantie de service constitue un outil pour le personnel en contact, pour piloter la relation de service. D’un point de vue managérial, mieux comprendre les conditions d’un bon usage de la garantie par le personnel en contact, permet de favoriser les situations de « reconnaissance » et fidélisation tout en limitant celles de « conflit » et par conséquent, de rupture.

Une prochaine étape intéressante serait de renouveler cette recherche sur un autre terrain afin de vérifier le caractère généralisable de cette étude à d’autres activités de service.

Brigitte Auriacombe

Professeur en marketing, j’ai passé une quinzaine d’années dans le Groupe Accor en tant que responsable marketing avant de réorienter mon parcours vers l’enseignement et la recherche. Le marketing des services est tout naturellement devenu ma spécialité. Mes recherches portent sur la conception et la mise en œuvre de garanties de service. Mes travaux touchent à plusieurs problématiques du marketing des services tels que la qualité de service, le traitement des réclamations et les relations de service. En 2015, j’ai coécrit l’ouvrage « Stratégie de marque dans les services de transport » (EMS).

Plus d’informations sur Brigitte Auriacombe :
Son CV en ligne
Son profil ResearchGate


Pour approfondir…

  • Auriacombe, B. 2015. L’utilité d’une garantie de service : le point de vue du personnel en contact. Décisions marketing, N°77.
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