Quel est le point commun entre Volkswagen et Air France sinon d’avoir récemment provoqué le scandale : Volkswagen, lorsque le 18 septembre fut révélé le truquage massif des tests de contrôle antipollution de certains de ses moteurs. Air France, le 5 octobre, quand une séance du comité d’entreprise se termina par l’agression violente des représentants de la direction ? Réponse : dans les deux cas, les salariés participent au gouvernement de l’entreprise.

 

Chez Volkswagen, ils détiennent la moitié des 20 sièges au conseil de surveillance. Du côté des actionnaires, Porsche détient la majorité du capital et l’Etat de Basse Saxe une minorité de blocage. Un actionnariat des plus stables donc. Comment donc un système associant aussi étroitement les actionnaires et les salariés à la direction, a-t-il pu ignorer ou permettre la fraude massive pratiquée en son sein ?

Chez Air France, société privatisée en 1999, l’Etat détient toujours 17,5% du capital et les salariés 6,5%.  Six administrateurs salariés siègent au conseil d’administration composé de 18 membres. Dans ces conditions de participation directe aux instances de gouvernance, comment le dialogue social a-t-il pu déboucher sur une violence envers la direction que l’on aurait pu attendre plutôt chez les entreprises soumises aux caprices des marchés financiers. La déception est d’autant plus grande pour les tenants de la codétermination qui défendent la représentation du capital et du travail au plus haut niveau de gouvernance comme un moyen d’apaiser les rapports sociaux (J.L Beffa et C. Clerc, les chances de la codétermination à la française Prisme 2013).

Il est bien sûr naïf de condamner un modèle de gouvernance, quel qu’il soit, au motif qu’il devrait permettre d’éviter, à lui seul, tous dérapages.  Cela n’interdit pas de chercher à savoir pour autant si la codétermination n’a pu contribuer aux dérapages observés.

Pour ce qui concerne Volkswagen, la stratégie mise en œuvre en 2013 par son dirigeant Martin Winterkorn visait à en faire le n°1 mondial en nombre de voitures vendues, en qualité et en largeur de gamme. Cet objectif considérable prévu pour 2018 a été atteint dès cette année, à marche forcée. Or devenir le N°1, ce n’est pas la même chose que d’être le meilleur, car c’est considérer que le classement constitue l’évaluation absolue des résultats. Etre premier peut se faire à n’importe quel prix, y compris le dopage ou le truquage. Quand les salariés participent à la gouvernance, quand ils valident la stratégie et obtiennent d’être rémunérés par des primes liées à l’objectif à atteindre, les effets de la course au classement s’exacerbent. Il n’y a plus de contre-pouvoir enraciné dans la réalité du travail pour contrebalancer la pression pour monter sur le podium.

Sortir d’une vision idéalisée

Du côté d’Air France, le personnel est structuré en deux catégories : les personnels navigant et parmi eux, les pilotes, considérés comme l’élite, et le personnel au sol. Quels que soit les multiples statuts et fonctions, cette distinction tant symbolique qu’objective est très prégnante. Dans les négociations en cours sur la stratégie de la compagnie, les personnels au sol avaient concédé un effort important, notamment en termes de réduction de postes et de réorganisation du travail. Les pilotes, quant à eux, avaient refusé le 30 septembre, l’accord social impliquant une augmentation de leur temps de vol. La violence qui a éclaté le 5 octobre pourrait donc avoir polarisé sur des membres de la direction, le ressentiment de certains salariés contre d’autres avec lesquels ils participent pourtant au conseil d’administration de l’entreprise.

Loin de disqualifier la codétermination, ces affaires invitent plutôt à approfondir les conditions de son efficacité. Il s’agit de sortir des idéaux reçus pour considérer comment une participation sans discernement des salariés aux affaires peut exacerber la logique de la concurrence ou produire de la violence lorsque la différence des intérêts entre les salariés eux-mêmes est refoulée.

Pierre-Yves Gomez

Enseignant mais aussi chercheur, je travaille sur les questions de croyances en économie, sur la théorie des conventions, sur le modèle de René Girard. J’analyse la place et la responsabilité de l’entreprise dans la société. Je décortique les hypothèses anthropologiques sous-jacentes aux principes du management. Depuis le début des années 2010, j’étudie ce que signifie le travail vivant, comme ancrage de la « vraie vie » des « vrais gens » dans les entreprises, et plus largement dans la cité. Sujet qui unifie, finalement, ce que j’essaie de déchiffrer depuis toutes ces années : c’est dans l’expérience matérielle du travail, propre à chaque personne et en même temps commune à toutes, que se fonde une société, un destin commun dont l’entreprise est porteuse, souvent inconsciente, mais toujours efficiente.
Je suis également le fondateur et directeur de l’Institut Français de Gouvernement des Entreprises (IFGE).

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Cet article a également été publié dans Le Monde du 29 octobre 2015.
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