Pourquoi la résistance persiste sur le lieu de travail, et en quoi elle peut s’avérer bénéfique pour les entreprises.

En 2010, David Courpasson, sociologue et directeur du Centre de recherche Organisations, Carrières et nouvelles Élites (OCE), remarquait que les mouvements de protestations de masse n’étaient plus aussi nombreux que par le passé en Europe et aux Etats-Unis. Mais la résistance organisée autour de sujets comme la mondialisation et le changement climatique restait courante. Il vient de publier un nouvel article, Impactful Resistance: The Persistence of Recognition Politics in the Workplace (Résistance à fort impact : la persistance des luttes ouvertes sur le lieu de travail). Il y aborde la manière dont la résistance se vit dans l’entreprise et en quoi, malgré les idées préconçues, elle peut in fine être une bonne chose pour les organisations concernées.

Les résistants doivent-ils être reconnus comme tels par leurs adversaires pour avoir un impact ? La résistance est-elle une source intrinsèque d’espoir et de motivation en raison de la cause même qu’elle défend ? Si David Courpasson reconnait que le débat n’est pas nouveau, la résistance permet selon lui de remporter des victoires a priori improbables.

Dans le cadre d’une vaste étude des mouvements de résistance, David Courpasson s’est intéressé en particulier au cas de seize travailleurs qui se sont opposés à leur employeur, une grande multinationale de l’assurance, au sujet du licenciement de plus de 200 salariés qui refusaient d’accepter un changement radical de leurs conditions d’emploi.

Du début de l’année 2007 jusqu’en 2011, le groupe a lutté. Non seulement contre l’entreprise mais également contre les tribunaux, à travers une série d’actions qui n’ont cessé de s’intensifier. Ils ont commencé par un simple blog pour finir par une grève de la faim de 84 jours, à l’issue potentiellement fatale. Face à cet acte de résistance, l’organisation a finalement reconnu sa défaite. Elle a versé en moyenne 30 000 € de compensation à chaque individu directement touché par la décision initiale.

Ce qui a attiré l’attention de David Courpasson sur cette affaire, ce n’est pas simplement le fait que des individus, jusqu’alors non politisés, soient devenus les fervents défenseurs d’une cause, mais qu’ils en soient venus à se considérer porteurs d’un débat plus vaste sur les valeurs du management contemporain. Et plus encore que les processus et politiques mis en œuvre par la direction ne se soient pas seulement avérés préjudiciables pour les salariés, mais de fait, aient nui à l’avenir de l’entreprise elle-même.

Jusqu’à présent, de nombreux spécialistes du phénomène de résistance sur le lieu de travail l’ont qualifié de lutte des faibles contre les forts, opposant la victime au persécuteur, et aboutissant presque toujours à la défaite des premiers. De même, la résistance a été considérée comme purement négative et improductive. Il s’agirait au mieux d’une soupape de sécurité, utile pour les personnes sans pouvoir, mais sans véritable perspective. Bon nombre de ces experts ont même avancé que, si la résistance sur le lieu de travail n’a pas encore complètement disparu, cela ne saurait tarder.

Pour David Courpasson, les opposants à l’entreprise d’assurance ont sans aucun doute lancé un défi significatif et très clair au pouvoir de l’entreprise. En montrant une capacité impressionnante à analyser et communiquer la faillibilité des décisions aussi bien commerciales que juridiques prises à leur encontre, ils ont prouvé à un large public qu’ils luttaient contre un enracinement du pouvoir, une défense des privilèges et une approche court-termiste des affaires qui ne participaient pas nécessairement au bien de l’entreprise.

David Courpasson en tire la conclusion que pour être efficace, la remise en cause du pouvoir de l’entreprise doit se baser sur un travail crédible et expert. Elle doit démontrer clairement que la résistance ne découle pas simplement de motifs égoïstes et individuels, mais qu’elle s’effectue aussi pour le bien de l’entreprise et de ses clients. Elle doit s’appuyer sur une volonté commune d’aller jusqu’au bout pour remporter la victoire finale. Au risque, comme dans le cas des opposants cités en exemple, de mettre en péril santé et bien-être, voire dans les circonstances les plus extrêmes, de perdre la vie.

David Courpasson, emlyon business school

David Courpasson

Professeur de sociologie, j’étudie les nouvelles formes de résistance au travail ainsi que les dynamiques et processus de pouvoir et de domination dans les organisations. Pour moi, la recherche en sciences sociales nécessite un engagement authentique et passionné dans la compréhension de la vie des gens au travail. Comment les nouvelles organisations influencent elles la vie des gens ? Par quels mécanismes ces derniers parviennent-ils à se sortir des contraintes et contradictions dans lesquelles les plongent les nouvelles règles du travail ? Peut-on constater la création de formes de solidarités collectives productives dans les organisations actuelles ? Au service de quelle(s) visions du travail ? Les luttes sociales ont-elles encore un avenir dans les organisations « libérales » ? Voici quelques-unes des questions que je tente d’aborder dans mes travaux.

Plus d’informations sur David Courpasson :
Son CV en ligne
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Pour approfondir…

  • Courpasson, D. (2016). Impactful Resistance: The Persistence of Recognition Politics in the Workplace. Journal of Management Inquiry, 25(1): 96-100. doi: 10.1177/1056492615600354.
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