Une partie de la réflexion économique sur la recherche et développement (R&D) a pour objectif d’identifier les facteurs de choix, par les entreprises, des modes d’organisation de leurs activités d’innovation, et d’en comprendre les impacts sur différentes dimensions. Celles-ci comprennent le montant des investissements engagés, les profits qu’ils génèrent pour l’industrie, ainsi qu’une mesure de la satisfaction des consommateurs ou utilisateurs. Les résultats de cette réflexion peuvent notamment contribuer à éclairer l’action des autorités de concurrence, ou d’autres institutions de régulation, qui visent à l’émergence des pratiques les plus favorables pour la société.

 

Le cas de l’industrie pharmaceutique

Les enjeux de l’organisation des opérations de recherche et développement sont particulièrement importants dans l’industrie pharmaceutique. Pour des raisons technologiques, la découverte de nouveaux médicaments ou vaccins est caractérisée par un risque d’échec élevé et exige des engagements financiers importants sur de longues durées. La baisse de la productivité des investissements en R&D, constatée sur plusieurs décennies, a incité les entreprises de ce secteur à explorer de nouvelles approches.

Par exemple, une part croissante des dépenses nécessaires à la mise au point de nouveaux produits est sous-traitée par les grands groupes pharmaceutiques auprès de sociétés spécialisées dont l’expertise scientifique leur est complémentaire. Un exemple historique est celui de la mise sur le marché de la première insuline humaine de synthèse grâce au partenariat conclu entre l’entreprise pharmaceutique Eli Lilly et l’une des toutes premières start-up dans le domaine du génie génétique, Genentech.

Dans d’autres circonstances, des entreprises concurrentes choisissent de coopérer en recherche et développement. Un exemple récent est l’annonce par AstraZeneca et Sanofi du partage de plus de 200,000 molécules issues de leurs chimiothèques respectives, afin d’accélérer la découverte de nouveaux médicaments. En général, une telle coopération permet d’éviter la duplication des budgets et de mutualiser les connaissances. Des modèles en micro-économie appliquée ont aussi montré que la coopération en R&D peut aboutir à davantage d’investissements que la concurrence.

La coopération entre entreprises peut aussi porter sur la diffusion de la propriété intellectuelle. Dans le cas d’un ensemble de technologies toutes nécessaires à la production d’un nouveau produit, il est possible de commercialiser en commun un « panier de brevets » détenus par plusieurs entreprises (un patent pool). En établissant un guichet unique pour l’obtention d’une seule licence pour l’ensemble des technologies du « panier », ce type de dispositif diminue les risques de conflits juridiques et les coûts de transaction. Aussi, l’analyse économique montre que cette démarche peut corriger le problème des marges multiples par la coordination à la baisse des tarifs de licence, dans l’intérêt de toutes les parties, et en particulier des consommateurs ou patients. Plusieurs accords de ce type ont vu le jour auxquels contribuent des entreprises de l’industrie pharmaceutique et des organismes de recherche publics engagés dans les sciences de la vie. Le Medicines Patent Pool (MPP), fondé en 2009 par UNITAID, regroupe de la propriété intellectuelle relative à des thérapies contre le HIV, l’hépatite C, et la tuberculose. Le Pool for Open Innovation against Neglected Tropical diseases (POINT), initié la même année par GlaxoSmithKline, est devenu en 2011 partie prenante de WIPO Re:Search, créé par la World Intellectual Property Organization (une des agences des Nations Unies), qui se focalise sur le traitement, la prévention et le diagnostic des maladies transmissibles qui frappent les régions les plus pauvres.

Incitations en R&D, maladies rares, et populations à faibles revenus 

Le financement d’un programme de R&D coûteux et risqué pose problème lorsque, dans le cas le plus favorable où un nouveau produit est effectivement développé, le chiffre d’affaires anticipé est particulièrement limité et/ou incertain. C’est à cette contrainte de financement que font face les entreprises qui investissent pour aboutir au traitement ou à la prévention de maladies rares ou qui touchent des populations situées dans des territoires à faibles revenus.

Divers dispositifs ont été conçus pour augmenter les incitations à investir dans ce type de situations. Par exemple, dans le cas des maladies rares, les agences européennes et américaines de régulation, qui autorisent la mise sur le marché des médicaments, prévoient des procédures d’homologation aménagées et des périodes d’exclusivité renforcées pour les entreprises qui apportent de nouvelles solutions. Dans le cas des vaccins, des gouvernements et des institutions philanthropiques contribuent au financement des programmes d’immunisation des pays à faible revenu par habitant.

L’approche économique est particulièrement adaptée à la réflexion sur la pertinence de tels dispositifs et sur l’élaboration de nouvelles démarches. Elle contribue à structurer la comparaison de différents scénarios incitatifs pour identifier ceux qui augmentent le plus les chances d’aboutir à des résultats.

Ebola, Zika, …

L’importance des investissements en recherche et développement, et des incitations qui les orientent, pour la mise au point d’outils de diagnostic, de nouveaux vaccins, et de nouvelles thérapies, nous est rappelée douloureusement dans les situations de crise provoquées par l’émergence ou la diffusion soudaine de pathogènes virulents: le SRAS en 2003, les virus H5N1 en 2005, H1N1 en 2009, plus récemment Ebola, et aujourd’hui Zika.

Ces situations d’urgence de portée mondiale peuvent provoquer la mise en œuvre de démarches incitatives et collaboratives nouvelles, impliquant à la fois les industriels, les organismes scientifiques, les institutions de régulation, comme les financeurs publics ou privés, pour accélérer la mise au point et la diffusion de solutions.

En particulier la crise provoquée par Ebola a amené l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à concevoir un plan-cadre qui vise à orienter et coordonner les efforts de recherche et développement des acteurs publics et privés en cas d’urgences sanitaires provoquées par de nouvelles épidémies. Une procédure d’évaluation d’urgence a été mise en place afin de permettre l’utilisation des produits expérimentaux plus rapidement que dans le cadre réglementaire habituel. Ce dispositif est déjà à l’œuvre dans la lutte contre le virus Zika, notamment pour la mise au point de produits de diagnostic, pour la détection fiable du virus et des complications qu’il pourrait induire (malformations congénitales et troubles neurologiques). Aussi les plus grandes entreprises du secteur, dont Sanofi Pasteur à Lyon, se sont engagées très rapidement dans la « course » pour la mise au point d’un vaccin.

Mais les obstacles technologiques, comme les étapes cliniques nécessaires à la validation d’un produit dont l’efficacité et la sécurité sont démontrées, peuvent exiger des investissements considérables sur plusieurs années. Peut-être de nouvelles approches seront-elles envisagées, par les industriels, les régulateurs, et les apporteurs de capitaux, pour accélérer le processus de recherche et développement ?

Bruno Versaevel, emlyon business school

Bruno Versaevel

Je suis professeur et chercheur en économie industrielle à emlyon business school, et membre du GATE (unité CNRS #5824). Mes travaux portent notamment sur les décisions d’investissement en innovation par les entreprises, et sur leurs choix de mode d’organisation de la recherche et développement (sous-traitance, coopération, concurrence, …), en relation avec l’environnement réglementaire.

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