Le projet de loi Travail a déclenché une tempête médiatique et sociale qui occupe le devant de la scène depuis le début de l’année 2016. Le débat oppose ceux qui pensent que le droit du travail français est un frein à la compétitivité des entreprises à ceux qui veulent renforcer la protection des salariés dans une économie en crise. Pour comprendre les enjeux réels du droit du travail pour les salariés et les entreprises, un retour sur la manière dont la relation d’emploi est gérée dans ces dernières s’impose.

 

Retour sur une situation historique en France : une économie fondée sur le salariat.

La France fait partie des pays qui ont construit leur croissance économique de l’après-guerre sur le salariat. Un compromis s’instaure entre les entreprises et leurs employés pendant les Trente Glorieuses : « en échange de la sécurité de l’emploi, l’assurance d’un revenu progressif et d’une évolution de carrière, le salarié promet loyauté, motivation et stabilité à son entreprise » (Autier, Jacob et Pérezts, 2016). Aujourd’hui en France, 88,5% des personnes en emploi sont salariées et 76,4% d’entre elles ont un contrat à durée indéterminée (INSEE, 2014). En quantité, les CDI sont largement majoritaires. Mais qu’en est-il de leur qualité ?

Le rôle de la fonction RH dans l’entreprise : mettre en adéquation les besoins et les ressources

Chaque entreprise doit s’assurer que ses ressources humaines sont en adéquation avec les besoins de son activité économique. La gestion de la flexibilité est centrale car les besoins sont de plus en plus imprévisibles en raison de la volatilité de la demande des consommateurs, de la globalisation accrue des opérations et de la pression concurrentielle. Le projet de loi Travail prend en compte cette nécessité. Néanmoins, le cadre légal ne fait pas tout. Les pratiques de GRH doivent figurer au cœur de la réflexion actuelle sur le travail.

Captation et stabilisation : deux grands régimes de mise en adéquation des besoins et des ressources

Selon la stratégie d’affaires de l’entreprise, la gestion de la relation d’emploi diffère. Une entreprise qui cherche à avoir l’offre la moins chère sur son marché privilégiera une relation d’emploi minimale pour une courte durée. Le régime dit de captation correspond à ce niveau minimal. Il comprend un contrat de travail, de type CDI ou CDD, une rémunération au SMIC et offre peu de perspectives d’évolution. Un exemple typique est l’entreprise de call center où les salariés sont embauchés en CDI au SMIC et restent en moyenne trois ans. A l’opposé, une entreprise qui veut se démarquer de ses concurrents cherche à stabiliser ses ressources pour bénéficier de leur expérience et de leur capacité d’innovation. Dans ce modèle dit de stabilisation, la relation d’emploi comprend un CDI, une politique de rémunération motivante pour les salariés, des programmes de formation et de mobilité pour les encourager à rester. Les grandes entreprises françaises du CAC40 ont, pour la plupart, adopté un tel régime.

Alors, quel est le problème avec le droit du travail ?

On voit bien que les entreprises en régime de captation se contentent d’appliquer la loi en matière d’emploi et de travail. Le rapport de force est en faveur de l’entreprise puisque de nombreux travailleurs sont à la recherche d’un emploi. Dans ce premier type de situation, il est nécessaire que le droit du travail protège le salarié contre les dérives engendrées par une politique visant à maintenir les coûts de main d’œuvre au plus bas.

Dans les entreprises en régime de stabilisation, la gestion de la relation d’emploi est investie pour assurer la fidélisation des employés. Des « packages » de rémunération sont proposés aux salariés. Ils peuvent comprendre des plans d’épargne, un accès à des services comme une crèche, une salle de sport ou encore une conciergerie d’entreprise. Les salariés bénéficient de formations et d’opportunités de carrière. Dans ce cas de figure, le droit du travail protège aussi l’entreprise contre l’opportunisme de certains employés. L’employeur peut faire signer à l’employé des clauses de confidentialité, de non-concurrence, de dédit formation… Son objectif : éviter que le salarié quitte l’entreprise en emportant des secrets de fabrication, des clients ou immédiatement après avoir bénéficié d’une formation qui a coûté plusieurs milliers d’euros à l’entreprise.

Au final, le problème c’est la gestion stratégique des ressources humaines de l’entreprise. En régime de stabilisation, les salariés sont un actif stratégique sur lequel l’entreprise investit. Mais en régime de captation, les salariés doivent être protégés des abus liés à des politiques de réduction des coûts. C’est cette dichotomie qu’il est urgent de prendre en compte dans le débat actuel.

Marie-Rachel Jacob, emlyon business school

Marie-Rachel Jacob

Professeur en gestion stratégique des ressources humaines, je focalise mes travaux de recherche sur la transformation de l’emploi et du travail : la transformation du management lié aux équipes composites, les parcours professionnels et carrières « flexibles », le rôle de l’entreprise dans la sécurisation des parcours professionnels, la diversité et les inégalités dans l’entreprise. Au sein du centre de recherche OCE (Organisation, carrières et nouvelles élites), je m’intéresse à la collaboration entre des salariés et des travailleurs extérieurs (intérimaires, stagiaires et prestataires) sur le lieu de travail de l’entreprise. Mes projets portent sur la possibilité de carrière pour des jeunes diplômés du secondaire au travers de relations d’emploi triangulaires (intérim et prestation de service) et sur les relations de travail dans les entreprises.

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Pour approfondir…

Des ressources ou des hommes, L'Antibible des RH, 2016, Fabienne Autier, Marie-Rachel Jacob, Mar Perezts

 

Autier, F., Jacob, M.-R., Pérezts, M. 2016, Des Ressources ou des Hommes ? L’Antibible des Ressources Humaines, 2e edition, Tours : Pearson France. ISBN : 978-2-7440-6642-9

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A lire également :

  • Perezts, M., Faÿ, E., Picard, S., 2015, Ethics, Embodied life and Esprit de Corps: an ethnographic study with anti-money laundering analysts, Organization. 22(2): 217-234.
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  • Autier, F., Ramboatiana, S., 2014, Travailler: pour quoi faire? Géréso Editions.
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  • Deslandes, G. 2015, Le travail désaffecté ou la joie, enjeu managérial et social, Le Portique, 35 | 2015, document 4, mis en ligne le 10 mars 2016, consulté le 11 mars 2016.
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  • Gomez, P.-Y., 2013, Le Travail Invisible: enquête sur une disparition, François Bourin Editeur.
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