La question du « flux temporel », ou du rythme de l’expérience client, influence depuis longtemps la perception qu’ont les consommateurs des produits. C’est un fait connu dont les entreprises ont cherché à tirer parti pour améliorer leurs prestations. Mais on ne connaît finalement que peu de choses sur la manière dont cette expérience se construit, sur les facteurs qui l’influencent ou l’atténuent, alors que l’expérience temporelle pourrait se révéler la clé d’un marketing réussi.
Dans ses travaux, Joonas Rokka explore ces questions qui peuvent avoir un impact vital sur la réussite d’une entreprise et s’avérer une source précieuse d’informations pour les études de marché. Nous savons que le comportement des consommateurs n’est pas linéaire. Ils peuvent passer des heures allongés sur la plage en dépit (ou peut-être à cause) du caractère nonchalant de cette activité, mais faire preuve d’impatience et de frustration après seulement quelques minutes dans une file d’attente. Alors de quoi, au juste, dépend une expérience temporelle réussie ?

 

Comment aider les entreprises à améliorer l’expérience temporelle du client ?

L’incapacité des entreprises à optimiser le « flux temporel » (ou passage du temps) affecte leurs prestations. Ces expériences temporelles sont ressenties de manière intense par le client. Par conséquent, concevoir un flux temporel trop rapide ou trop lent risque d’avoir un impact négatif sur la satisfaction du client, voire d’entraîner son départ. Si une expérience passe à toute vitesse, le consommateur peut se sentir frustré et stressé, tandis qu’une sensation de trop grande lenteur le mènera à l’ennui. Dans un sens comme dans l’autre, ce décalage altère la qualité, l’attrait et le caractère unique de la satisfaction client.

Pour que les entreprises voient leurs efforts couronnés de succès, elles doivent envisager à l’avance le flux temporel holistique du client, c’est à dire la série d’événements probable, pour l’adapter de sorte à en rendre l’expérience plus agréable et satisfaisante. Afin d’optimiser le succès de leur produit ou de leur offre, les entreprises doivent prendre en compte les perturbations potentielles et s’y préparer. La manière la plus simple d’y parvenir consiste à examiner le point potentiel de rupture d’une expérience temporelle positive et à y trouver des parades, comme par exemple un système de file d’attente plus efficace.

Pourquoi avoir choisi le cas du sport extrême pour ce travail de recherche ?

Nous avons choisi de nous concentrer sur le sport extrême pour sa forte intensité. Les participants à notre étude étaient bien plus susceptibles de se souvenir facilement des moindres détails de leur expérience. Nous avons constaté que tous les consommateurs recherchent un flux temporel optimal dans lequel certains éléments de leur pratique de consommation se rejoignent. En ski freestyle, par exemple, une figure acrobatique réussie est l’alliance d’aptitudes physiques et d’un entrainement adaptés, mais aussi d’un matériel de ski performant et de conditions météo idéales. Comme on peut s’y attendre, de tels cas sont rares. Le plus souvent, le consommateur se retrouve soumis à un flux temporel trop rapide ou trop lent.
Il est important de garder à l’esprit que ces expériences peuvent varier considérablement d’une personne à une autre. Le flux temporel du ski freestyle est très spécifique. Les séquences peuvent défiler en un éclair ou donner l’impression d’être à l’arrêt dans les moments les plus intenses. De son côté, l’employé supervisant le bon fonctionnement du snowpark où s’entraînent les skieurs aura une expérience très différente de la temporalité, puisqu’elle fait très probablement partie d’une routine ennuyeuse et répétitive.

Qu’avons-nous à apprendre des établissements de restauration rapide ?

Des exemple intéressants d’une bonne intégration du flux temporel à l’expérience client pourraient venir de la croissance de la « restauration lente », mise en valeur par la popularité du restaurant Craft à New York, et de la « restauration rapide », illustrée par l’immense succès de McDonald’s. Ces deux expériences ont été pensées et élaborées entièrement autour du concept temporel, du point de vue tant de la durée du repas que de la nourriture elle-même (par exemple, la rareté voire l’absence de couverts dans la restauration rapide). Dans le cas de McDonald’s, on a veillé à raccourcir au maximum l’expérience client pour répondre aux besoins temporels des consommateurs – et cela, jusque dans les moindres détails, notamment avec les « drive-in » grâce auxquels les clients n’ont même plus besoin de quitter leur voiture.

Quels sont les autres domaines possibles d’application ?

Les implications de cette théorie sont extrêmement vastes. Elle peut s’appliquer à bon nombre d’industries pour lesquelles l’expérience temporelle est importante – notamment le secteur automobile, l’industrie du jeu, du divertissement ou encore du tourisme. De manière générale, les flux temporels peuvent être construits de manière à rendre l’offre et les espaces de vente plus attrayants et plus accessibles. C’est une approche dont les entreprises doivent tenir compte si elles souhaitent garder une longueur d’avance et accroître leur clientèle.

Joonas Rokka, emlyon business school

Joonas Rokka

Professeur en marketing et directeur du Lifestyle Research Center, j’enseigne la stratégie de marque, les marchés de consommation et les modes de vie des consommateurs, l’expérience de service et la communication, en abordant notamment le Web marketing et des médias sociaux. Mes travaux de recherche portent également sur la stratégie de marque mais aussi sur l’expérience et la culture des consommateurs, les médias numériques et les méthodes de recherche visuelles créatives. Dans ce cadre, j’expérimente des méthodes audiovisuelles innovantes comme la vidéographie permettant de donner à voir la complexité des expériences menées : temporalité, espace, mouvement, etc.

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