La résilience entrepreneuriale est un sujet que Marie-Josée Bernard et Saulo Barbosa maîtrisent à la perfection pour l’avoir longuement étudié. Leur dernier article Résilience et entrepreneuriat : Une approche dynamique et biographique de l’acte d’entreprendre paru dans la revue M@n@gement l’aborde sous un angle différent et fait le lien entre le processus de résilience et le déclenchement de la décision d’entreprendre de nouveau.

 

Le mot résilience est devenu un adjectif. On dit que les sportifs, les entrepreneurs, ainsi que les tissus économiques, doivent être résilients pour surmonter (respectivement ou pas) l’échec, le risque, la crise. Dans la littérature en entrepreneuriat, la résilience est principalement présentée comme un trait de caractère de l’entrepreneur. Face aux difficultés, à un environnement hostile, et aussi pour rebondir face à l’échec, l’entrepreneur doit être résilient. Être résilient devient ainsi synonyme d’être résistant, persistant, tenace.

Traumatismes et résilience

Comme l’ont démontré, les experts et en particulier Boris Cyrulnik, la résilience est avant tout un processus, un processus qui se met en place après une expérience traumatisante. Pour notre part nous explorons le rôle que ce processus dynamique de résilience peut jouer dans le déclenchement de la décision d’entreprendre. Notre attention porte ainsi sur la dynamique de résilience engendrée par des événements de vie marquants, à caractère traumatique, survenus antérieurement à la décision d’entreprendre.

Spécifiquement, nous présentons les résultats d’une étude exhaustive, préalablement initiée depuis plusieurs années par l’un des auteurs.

L’analyse proposée porte sur des récits de vie de trois entrepreneurs résilients. Ces trois personnes ont vécu des traumatismes conséquents pendant leur première enfance : abandon de la famille d’origine et adoption avec maltraitance, handicap physique suite à une maladie, refus d’accès à l’éducation suivi d’alcoolisme à l’âge adulte. Nous avons analysé en détail leurs parcours de vie, comprenant un total de 206 événements critiques. À partir de cette analyse, nous avons élaboré un modèle qui s’appuie sur la théorie du traumatisme comme élément déclencheur du processus de résilience et qui met en avant les éléments clefs nourrissant ce processus.

Voies et déclencheurs de l’entrepreneuriat

Nous constatons que plusieurs de ces éléments sont précurseurs d’une démarche entrepreneuriale, par exemple :

  • Les tuteurs de résilience : il s’agit de personnes, voire d’organisations, qui apportent les « nourritures affectives », relationnelles nécessaires pour que l’individu puisse tisser des liens, refaire confiance à d’autres, se reconstruire et ainsi devenir capable de se construire un réseau social.
  • L’engagement dans l’action : les individus dans un processus de résilience s’engagent de manière intense et leurs engagements semblent avoir un lien avec la nature du traumatisme vécu (par exemple, avant de devenir entrepreneur, un de nos interviewés qui était handicapé est devenu champion paralympique). Cet engagement permet de vivre des expériences et des interactions qui sont sources d’apprentissages.
  • Les victoires intermédiaires et le travail sur l’estime de soi : L’engagement est aussi source de victoires, grandes et petites, qui apportent une légitimité et une confiance en soi nécessaires à entreprendre plus tard.

Enfin, les individus qui se trouvent dans un processus de résilience suite à une expérience traumatique sont souvent en quête de sens et de cohérence. Cette quête met en lumière, par exemple les écarts entre les valeurs personnelles de l’individu et les pratiques managériales de l’organisation dans laquelle il travaille.

Cette quête peut alors s’incarner à travers l’entrepreneuriat et permet de façonner le projet de création d’entreprise. Le processus d’émergence de l’idée de création est ainsi constitué par un ensemble de déclencheurs internes, tels que : le manque de reconnaissance, la confrontation à la discrimination, et le sentiment de trahison et d’injustice.

Déclenchement

Évidemment, ces déclencheurs internes sont en lien direct avec la blessure initiale souvent réactivée au fil du temps, à l’origine du processus de résilience. Ces sortes de rappels de l’histoire ont un fort retentissement émotionnel qui développe un sentiment de la différence, un besoin de retrouver l’estime de soi et l’envie de s’engager dans un projet porteur de sens. Le projet de création d’entreprise émerge ainsi au cours d’un processus où l’individu cherche non seulement à sortir des incohérences situationnelles, mais aussi à revenir à ce qui est essentiel pour lui.

Cette démarche n’exclut en rien le fait que ce processus soit aussi déclenché par la prise de conscience progressive de l’existence d’un besoin réel, exprimé par des tierces personnes. Cela prend souvent la forme d’un déclic externe à l’individu, un effet de renforcement qui va au-delà des incohérences vécues et qui permet de visualiser une opportunité d’entreprendre en cohérence avec soi-même.

La résilience renforce les moteurs de l’entrepreneuriat

Alors, faut-il avoir traversé des expériences difficiles et même traumatiques pour devenir entrepreneur ? Bien évidemment que non ! La résilience ne constitue pas une condition nécessaire et suffisante pour déclencher la décision d’entreprendre. Cependant, les constituants de la dynamique de résilience renforcent des éléments souvent associés à la création d’entreprise tels que la confiance en soi, la constitution d’un réseau social de soutien, la quête de cohérence et l’engagement dans l’action. Notre étude montre d’abord que la résilience, étant elle-même une dynamique systémique, peut participer activement au faisceau de causalités enchevêtrées qui oriente l’énergie et l’intention de certains individus vers l’entrepreneuriat.

Ce qui est d’autant plus intéressant dans le cas des trois entrepreneurs interviewés, est que leurs projets de création d’entreprise reflètent dans une certaine mesure leur parcours résilient et offrent une réponse au traumatisme vécu.

Ainsi, l’entrepreneur victime de la poliomyélite à l’âge de 6 mois, crée à 44 ans une entreprise de recrutement des personnes handicapées et de formation professionnelle, il devient un référent reconnu par de nombreuses instances officielles sur le sujet du handicap et la valorisation de toutes les différences.

Le deuxième entrepreneur abandonné dans un orphelinat à la fin de la guerre du Vietnam par sa famille d’origine a vécu une émigration vers la France dans une famille adoptive qui s’avérera maltraitante. Il crée une entreprise de financement et de soutien aux créateurs d’entreprise avec comme mission de « faire se rencontrer les deux mondes » des investisseurs et des entrepreneurs.

Enfin, le troisième entrepreneur a vécu l’exclusion d’un parcours scolaire normal et plus tard la chute dans l’alcoolisme après un premier échec entrepreneurial. Il crée une société de prévention et d’accompagnement des entreprises aux risques des addictions et psycho-sociaux, avec la mission de lever le tabou des addictions et d’améliorer la santé et le bien-être au travail.

Au-delà du travail d’analyse riche d’enseignements, cette étude est une opportunité de découvrir les histoires de vie fascinantes de ces trois entrepreneurs, pleines d’espoir et de perspectives pour éclairer d’autres trajectoires.

Cet article a été précédemment publié sur le site de The Conversation France le 21 septembre 2016.

Saulo Dubard Barbosa, emlyon business school

Saulo D. Barbosa

Professeur en entrepreneuriat, je suis depuis toujours passionné par l’entrepreneuriat social. Mes travaux de recherche portent également sur la perception du risque dans le cadre d’une création d’entreprise, ainsi que les processus cognitifs et émotionnels à l’œuvre chez l’entrepreneur.

Plus d’informations sur Saulo Dubard Barbosa :
Son CV en ligne
• Son profil ResearchGate

Marie-Josée Bernard, emlyon business school

Marie-Josée Bernard

Ma mission principale est de favoriser le développement de l’intelligence collective et relationnelle dans les organisations. C’est aussi de contribuer au développement de l’équilibre et de la santé des entreprises par le respect et le renforcement de la santé physique, morale, psychique et émotionnelle des personnes qui créent de la valeur pour ces entreprises. J’ai en particulier théorisé la dynamique de la résilience entrepreneuriale, c’est à dire l’art de transformer les blessures traumatiques en une opportunité de création de sens, de valeur à la fois symbolique, économique et sociale pour d’autres que soi-même, par le choix de l’acte d’entreprendre.

Plus d’informations sur Marie-Josée Bernard :
Son CV en ligne
Son profil Viadeo
Son profil ResearchGate


Pour approfondir…

  • Bernard, M.J., Dubard Barbosa, S. (2016). Résilience et entrepreneuriat :Une approche dynamique et biographique de l’acte d’entreprendre. M@n@gement, 19 (2), 89-123.
    Voir l’article en ligne
  • Bernard, M.J. (2008). L’entrepreneuriat comme un processus de résilience : Les bases d’un dialogue entre deux concepts. Revue Internationale de Psychosociologie, 2008/32, 119-140.
    Voir le résumé en ligne
  • Bernard, M.J. (2016). Entrepreneuriat, parcours de vie et résilience: Les ressorts de l’espoir. Editions L’Harmattan, 238 p.
    Voir le résumé en ligne
  • Bernard, M.J. (2015). La résilience entrepreneuriale. Knowledge@emlyon, 3 novembre 2015.
    Voir l’article en ligne