Au-delà de l’inégalité salariale, d’autres conséquences de la parentalité sur le travail demeurent dans l’ombre. Les expériences contrastées de Janka, Nicole et Isabel, réunies dans le cadre d’un travail de recherche, en témoignent.

 

Janka

Il y a un berceau à côté de la grande fenêtre. Dans un coin de la pièce, une petite table, des petites chaises et des peluches ainsi qu’une étagère garnie de livres et de jeux de société adaptés à plusieurs âges. On peut dessiner sur les murs. Au sol, un grand tapis de jeu dessine une ville. Nous sommes bel est bien dans un bureau. Un bureau parent-enfant (Eltern-Kind Arbeitszimmer), dans un immeuble de bureaux ordinaire en Allemagne. Une barrière en bois sépare l’espace enfant de l’espace bureau à proprement parler, entièrement équipé avec ordinateur, téléphone, … La pièce est insonorisée. On peut fermer la porte et les volets à l’heure de la sieste ou de l’allaitement. Janka, manager et mère de deux enfants, l’occupe. Lorsque son petit dernier dort, elle laisse le babyphone dans le bureau et rejoint son équipe dans les bureaux adjoints. Lors des réunions, son entreprise met à disposition une assistante maternelle pour les enfants des employés, réunis dans une grande pièce de jeux qui existe en plus du bureau parent-enfant. Si la réunion coïncide avec l’heure de l’allaiter, Janka amène son fils avec elle en réunion.

Nicole

En France, Nicole est également manager et mère d’une petite fille qu’elle veut continuer à allaiter à sa reprise du travail. Elle demande toutes les trois heures à ses collègues, avec lesquels elle partage un open space, de bien vouloir se retourner le temps qu’elle tire son lait. Les vingt minutes rythmées par la pompe électrique lui semblent interminables. Le bruit de la machine gène visiblement certains. Impossible pour elle de s’isoler quelque part, y compris aux toilettes. Il n’y a pas la place pour installer la machine, pas de prise pour la brancher, ni de chaise pour s’asseoir. Si une réunion tombe au mauvais moment et, comme souvent, se prolonge, elle sent l’engorgement monter. A la fin de la journée, portant son lait dans un sac réfrigéré, elle file à la maison, où une baby-sitter l’attend après avoir récupéré sa fille à la crèche privée.

Isabel

Au Mexique, pour Isabel, la question a été réglée en amont. A l’annonce de sa grossesse, elle a été mise à la porte avec les 42 jours de salaire de son congé prénatal prévus par la loi (Organisation Internationale du Travail, les derniers chiffres pour le Mexique datant de 2011), alors que son enfant n’est pas encore né. Inutile de dire qu’il sera impossible pour elle de trouver un autre travail en étant enceinte. Encore moins un mode de garde autre que sa propre mère lui permettant de travailler par la suite. Toute l’aide dont elle bénéficie, y compris en termes de couverture médicale, se résume à ces 42 jours de salaire.

Les mères moins compétentes ?

Ces trois femmes, cadres et managers interrogées dans le cadre d’un projet de recherche, travaillent toutes pour des filiales de la même entreprise, qui applique les règles d’usage des pays où elle opère en termes d’égalité professionnelle face à la parentalité. Chacune est un cas unique mais révélateur d’une tendance, qu’il convient de prendre comme telle pour porter une réflexion sur le sujet.

L’aspect quantitatif – telle la question d’égalité de salaire – souvent débattu et plus visible, est plus facile à montrer du doigt. Mais d’autres conséquences de la parentalité sur le travail demeurent dans l’ombre. La recherche montre que les mères sont perçues comme étant moins compétentes et dévouées à leur travail. Elles sont classées dernières, derrière les femmes sans enfants, les hommes sans enfants et… les hommes avec enfants. Pour eux, la parentalité peut même représenter un bonus de salaire, voire une promotion. Si nous croisons les statistiques par pays, les inégalités s’accentuent dans les pays émergents. Comme pour Isabel, devenir mère signifie encore trop souvent l’exclusion du marché du travail et le coup d’arrêt d’une carrière. Ces pratiques restant souvent aux marges de la loi, nous disposons de peu d’éléments chiffrés sur l’ensemble du phénomène.

Inversement, Janka avait été promue manager lorsque son premier enfant avait trois ans. L’arrivée du second ne semble pas l’entraver dans sa progression de carrière, bien qu’elle demeure moins bien payée que ses homologues masculins. Le retour au travail s’est fait progressivement, lui permettant de garder son fils près d’elle plus de temps ses premiers mois, tout en restant présente et en suivant les activités de son équipe.

A mi-chemin entre les deux, Nicole semble jongler dans un espace flou. Des dispositifs de soutien sont prévus par la loi, mais on omet, ou on néglige, de considérer les implications pratiques de leur application, tels que la mise à disposition d’un espace isolé et confortable où elle puisse tirer son lait. Après cinq semaines, la pression des collègues étant trop forte, elle a arrêté l’allaitement. « Je me sens perdue, dit-elle. J’ai l’impression d’avoir échoué de partout. Je me sens coupable au travail, et j’ai l’impression de ne jamais voir ma fille. Le soir je ne lui apporte même plus mon lait.« 

Vers des frontières maison-travail moins nettes ?

L’inégalité professionnelle face à la parentalité demeure une réalité. Alors que des progrès ont été faits sur certains fronts, l’oppression demeure sous d’autres versants. On est passés des contraintes explicites (i.e. exclusion de certaines professions) à un modèle plus insidieux, où le quotidien de ces mères managers travaillant dur reste semé de préjudices et difficultés. Le modèle allemand que l’on retrouve également dans d’autres pays, semble concilier un peu plus les exigences de la maternité et celles des carrières des femmes, en rendant moins nettes les frontières entre le travail et la maison. Solution ou pas, les questions de l’inégalité professionnelle face à la parentalité restent, encore, ouvertes.


Cet article a été préalablement publié dans le numéro d’avril-mai de la revue Courrier Cadres.

Mar Perezts, emlyon business school

Mar Perezts

Professeur en management, je poursuis une recherche transversale en croisant les problématiques gestionnaires et organisationnelles telles que l’éthique des affaires avec des approches puisées dans la philosophie et la sociologie. Mes travaux ont été publiés dans le Journal of Business Ethics, Organization et le European Management Journal, pour lesquels je suis relectrice. Je suis également membre du Centre de Recherche OCE (Organisations, Carrières et nouvelles Elites).

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