Le monde est confronté à un problème. La plupart d’entre nous n’est pas suffisamment formée aux enjeux de la finance. Cela pose de vraies questions car le monde est de plus en plus complexe d’un point de vue financier. Et nous sommes de plus en plus nombreux à créer des entreprises ou à agir en tant qu’entrepreneurs individuels dans ce qu’on appelle la Gig Economy ou l’économie à la «tâche». L’entrepreneuriat est à la mode – mais comprendre un bilan financier, c’est une autre affaire.

 

Illetrisme financier des ménages

Ce problème n‘est pas vraiment nouveau. À la fin du siècle dernier, l’inquiétude a commencé à se répandre parmi les autorités publiques et une poignée de chercheurs aux États-Unis. Face à la croissance spectaculaire de produits financiers toujours plus complexes, ils ont décidé d’enquêter pour savoir si le ménage américain moyen était capable de comprendre des concepts financiers très basiques, tels que le taux d’intérêt composé, l’inflation et la diversification du risque financier. Les résultats se sont avérés alarmants, montrant que l’analphabétisme financier était largement répandu chez les Américains.

De nombreuses études sont venues compléter ces premières investigations et elles renvoient l’image, encore aujourd’hui, d’un illettrisme financier généralisé au sein des ménages. Mais les entrepreneurs, eux, n’ont pas été étudiés. C’est une évidence, les entrepreneurs, s’ils souhaitent garantir leur survie, doivent gérer sainement leurs finances. Compte tenu de la situation alarmante dans les ménages, il est naturel de porter notre attention sur les entrepreneurs, dont les décisions financières sont certainement plus complexes et décisives en matière de croissance économique.

Et les entrepreneurs ?

À cette fin, nous avons organisé le premier atelier sur l’Entrepreneuriat et l’éducation financière, avec pour objectif de synthétiser nos connaissances sur ce sujet et de proposer des pistes de recherches futures. Organisé en partenariat avec GFLEC, le Global Financial Literacy Excellence Center (centre mondial d’excellence pour l’éducation financière) à la George Washington University School of Business, et sa directrice, Annamaria Lusardi, cet atelier a rassemblé des universitaires, des régulateurs, des éducateurs et des financiers afin de réfléchir à la meilleure manière d’étudier le lien entre connaissances financières de base et entrepreneuriat.

Premières pistes de réflexion

Premièrement, il est évident que nous avons encore besoin d’identifier les notions financières de base que chaque entrepreneur doit appréhender. Ces concepts sont différents de ceux nécessaires aux ménages, et pour lesquels il existe désormais un large consensus. Un entrepreneur devrait connaître quelques principes de base en matière d’argent, de budgétisation, de gestion financière et de planification. Mais quels sont les plus importants ?

Bien sûr, on pourrait se demander: «Mais à quoi servent les comptables!», et c’est vrai – nous devrions tenir compte du fait que les chefs d’entreprise ont la possibilité d’obtenir une aide professionnelle. Mais nous devons malgré tout identifier les concepts et les décisions, essentiels à la réussite, qu’un entrepreneur doit maîtriser indépendamment de tout conseil professionnel.

Une recherche à développer

Les résultats d’une enquête organisée par la Chambre du commerce néerlandaise ont été présentés au cours de l’atelier par Martijn Lentz, Conseiller au service d’accompagnement des entrepreneurs auprès de cette institution. Il en ressort que les entrepreneurs sont capables d’autoévaluer leur degré de connaissances financières. Malheureusement nous ne disposons que de très peu d’informations sur ce que les entrepreneurs maîtrisent réellement, et quels concepts ils ont besoin d’approfondir. Cela constitue indéniablement un domaine clé qui mériterait plus ample recherche.

Deuxièmement, les entrepreneurs constituent un échantillon de la population librement choisi, absolument pas aléatoire. Quelle est l’importance de l’éducation financière pour stimuler l’entrepreneuriat, et surtout le « bon entrepreneuriat », celui qui a la capacité de créer des entreprises économiquement viables ? Certaines études préliminaires menées par Annamaria Lusardi et George Panos révèlent qu’un haut degré d’éducation financière élémentaire augmente la probabilité d’être entrepreneur, mais les preuves sont encore trop imprécises pour permettre de tirer des conclusions sur les deux questions précédentes.

Commencer dès le plus jeune âge

Troisièmement se pose la question du mode d’organisation des programmes d’éducation financière pour les entrepreneurs. Caroline Jenner, PDG de Junior Achievement Europe, et Billy J. Hensley, directeur principal chez NEFE (la «National Endowment for Financial Education» aux Etats-Unis), ont partagé leur point de vue à ce sujet. Selon eux, la première étape consiste à déterminer les aptitudes et compétences perçues comme essentielles par le milieu des affaires et de la finance. La formation des enseignants apparaît elle aussi capitale. Pour stimuler l’esprit entrepreneurial, mieux vaut commencer tôt. Les programmes devraient être conçus pour initier à la culture financière dès le plus jeune âge.

Enfin, nous devons tenir compte des changements que connaît le marché du travail. Numérisation, fintech, crowdfunding et autres ruptures technologiques nous poussent vers un modèle économique dans lequel les gens sont les nouvelles entreprises. Les entrepreneurs jouent en quelque sorte le rôle du «canari dans la mine de charbon» et servent d’indicateurs de la santé globale de nos économies.

Selon Derek Ozkal, responsable du programme Entrepreneuriat à la fondation Ewing Marion Kauffman, l’entrepreneuriat est très tendance, mais les chiffres sont en réalité inquiétants. Une mauvaise éducation financière pourrait être l’un des facteurs expliquant le déclin du dynamisme des entreprises. Nous devons comprendre les barrières créées par l’environnement extrêmement compétitif dans lequel nous vivons et préparer les entreprises individuelles à survivre dans cet environnement, en alignant leurs compétences sur les exigences du marché. Une éducation financière adéquate est nécessaire pour aider les entrepreneurs à obtenir leur indépendance économique et, au bout du compte, à croître au niveau global.

Si nous ne le faisons pas, notre analphabétisme financier collectif est une véritable bombe à retardement…

Riccardo Calcagno, emlyon business school

Riccardo Calcagno

Je suis Professeur en Finance d’entreprise à emlyon business school depuis 2011. J’ai un doctorat en économie de l’Université Catholique de Louvain (Belgique), et avant de rejoindre emlyon business school j’étais chercheur à l’Université de Tilburg et à l’Université Libre d’Amsterdam (VU). Mes intérêts de recherche concernent principalement l’éducation financière et le rôle du conseil financier d’une part, et la gouvernance d’entreprise, d’autre part. Plus en particulier, j’ai étudié les processus de fusions et acquisitions, et la rémunération des cadres supérieurs.
J’ai publié des articles dans des revues spécialisées, notamment la Review of Economic Studies, le Journal of Corporate FinanceCorporate Governance: An International Reviewet le Journal of Banking and Finance, entre autres.

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