Si les entreprises du secteur B2B, notamment les PME, sont les piliers de l’économie européenne, bon nombre d’entre elles hésitent encore à passer au numérique. Certaines questionnent le coût (souvent élevé), d’autres affirment que ce n’est pas nécessaire pour leur activité. D’autres encore craignent les réticences liées aux nouvelles habitudes et compétences requises par les nouvelles technologies. La plupart se demandent « Pourquoi nous donner la peine de passer au numérique ? Qu’allons-nous y gagner ? ». Une étude récente menée par Margherita Pagani et Catherine Pardo apporte des éléments de réponse.

 

Pourquoi les entreprises, en particulier, les PME hésitent-elles à franchir l’étape du numérique ?

Leur position est compréhensible. Nous connaissons tous des personnes réticentes au changement dans notre environnement professionnel. Après tout, si une entreprise a prospéré pendant des années et qu’elle continue à bien se porter sans nouveau système CRM sophistiqué ni production automatisée, où est l’intérêt ? Cette question est à l’origine du projet de recherche que nous avons menée et dont les conclusions viennent d’être publiées dans l’article « The Impact of digital technology on relationships in a business network » (L’impact de la technologie numérique sur les relations au sein d’un réseau commercial), paru dans l’Industrial Marketing Management Journal.

Pourquoi avoir choisi de centrer votre recherche sur le secteur BtoB ?

Nous avons examiné l’impact de la numérisation, en particulier l’adoption de technologies numériques connectées à l’Internet et leurs applications par les entreprises, lors d’échanges B2B. Si le secteur B2C a fait l’objet d’études intensives dans ce contexte, les entreprises B2B ont pour leur part reçu bien moins d’attention. Il est clair que les technologies numériques sont en train de modifier progressivement les entreprises B2B. Ce qui est moins évident, c’est l’ampleur de ce processus ainsi que la manière dont cette transformation affecte les entreprises et leurs interactions avec leurs clients, leurs fournisseurs et autres parties prenantes. C’est pourquoi nous avons choisi d’étudier spécifiquement les changements induits par la technologie numérique dans les relations au sein d’un réseau commercial et dans quelle mesure cette évolution s’avère utile pour les entreprises elles-mêmes.

Pour ce faire, nous avons mené des entretiens avec des managers en marketing digital dans des sociétés de cinq secteurs d’activité différents. Le constat est clair : malgré le bouleversement et les dépenses que cela représente, investir dans les technologies et la transformation digitales s’impose comme une évidence.

Des exemples de pratiques ?

Un point essentiel est à souligner. Si la transformation digitale peut se révéler compliquée, elle donne rarement lieu à un changement fondamental des pratiques commerciales. Ainsi l’entreprise Biomérieux ne modifie pas ses activités de vente à travers la numérisation. Elle se sert d’outils numériques pour effectuer des transactions B2B, améliorant ses transactions avec ses clients. L’entreprise Coca-Cola ne modifie pas son activité de mise en bouteille de sirops. Grâce à une plateforme CRM digitale, elle est désormais en mesure d’assurer un suivi continu de ses clients et d’améliorer la qualité de ses relations. Volvo se sert du suivi GPRS de ses machines pour adopter une approche proactive de la maintenance et réduire les coûts d’entretien, devenant ainsi un acteur actif d’un écosystème plus vaste. Ces quelques exemples montrent que la numérisation peut impacter le niveau d’activités, de ressources ou les relations avec d’autres acteurs.

Au vu de ces recherches, quels conseils donneriez-vous aux entreprises ?

Premièrement, les managers devraient considérer la transformation digitale comme une question de « réseau de valeurs » plutôt que de « chaîne de valeurs » traditionnelle. La numérisation estompe les limites entre une entreprise et ses clients. Elle a le potentiel de promouvoir de nouvelles alliances et la collaboration avec des acteurs extérieurs. En bref, elle peut créer des relations commerciales qui sinon n’existeraient pas, encourager des innovations qui sinon ne verraient pas le jour, et ainsi, contribuer de manière significative au développement d’un lieu de travail plus dynamique. Ne serait-ce que pour ces raisons, les managers qui sont sceptiques devraient reconsidérer l’importance potentielle du numérique pour leur activité, car les atouts éventuels sont considérables.

Deuxièmement, il nous est clairement apparu que dans les environnements B2B, expliquer aux employés pourquoi le passage au numérique est nécessaire (voire même simplement ce dont il s’agit concrètement) s’avère souvent problématique… En raccrochant la numérisation à des concepts familiers tels que les relations, les valeurs, les activités et les ressources, les managers peuvent transposer la transformation digitale en quelque chose de plus largement compris, et accepté, par l’ensemble du personnel.

Enfin, les managers devraient exploiter les possibilités offertes par la transformation digitale d’« imaginer » plus. Imaginer la façon dont le numérique pourrait permettre à leur entreprise d’être en meilleure adéquation avec ses clients et ses fournisseurs. Imaginer en quoi cela pourrait se traduire par une efficience accrue pour les deux parties. Imaginer la manière dont les ressources existantes pourraient être déployées différemment pour concrétiser de nouvelles activités commerciales. Et surtout, imaginer en quoi de nouvelles relations, tissées grâce à la numérisation, pourraient déboucher sur des opportunités auparavant invisibles.

La transformation digitale peut sembler effrayante – mais passez outre vos craintes et elle pourrait libérer votre entreprise !

Margherita Pagani, emlyon business school

Margherita Pagani

Professeur en marketing numérique et télécommunications, mes recherches portent actuellement sur le marketing numérique, le comportement des consommateurs et les nouvelles technologies. Je m’intéresse en outre aux médias sociaux, au marketing mobile et aux modèles de dynamique des systèmes permettant d’évaluer l’effet de levier des différents composants des réseaux de valeur informatique. L’impact de la vie privée sur le comportement des consommateurs au sein des réseaux sociaux retient également mon attention.

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Catherine Pardo, emlyon business school

Catherine Pardo

Professeur de marketing business-to-business, j’enseigne auprès des publics Master in Science, Mastères Spécialisés et executive education. Ma recherche s’intéresse à la façon dont les organisations gèrent leurs échanges de produits et services (en particulier lorsque les clients sont des « comptes clés ») et aux situations d’intermédiation BtoB (commerce de gros). Je suis responsable de la Chaire de Recherche “Intermédiation BtoB – CGI / emlyon business school”. J’ai publié dans plusieurs revues internationales comme Industrial Marketing ManagementJournal of Business and Industrial MarketingJournal of Personal Selling and Sales ManagementEuropean Journal of Marketing.

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Pour approfondir…

  • Pagani, M., Pardo, C. (2017). The impact of digital technology on relationships in a business network. Industrial Marketing Management, Forthcoming. DOI: 10.1016/j.indmarman.2017.08.009.
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