Êtes-vous conscient de vos émotions au travail et de la manière dont elles affectent l’organisation ou vos collègues ? Êtes-vous capable de réguler vos sentiments de sorte à les exploiter au mieux dans une situation donnée ? Dans ce cas, vous avez probablement un bon niveau d’intelligence émotionnelle (IE). Et c’est assurément une bonne chose, non ?

 

Depuis plusieurs années déjà, l’intelligence émotionnelle constitue un sujet majeur de discussion dans la sphère du management. Comment les employés perçoivent-ils et régulent-ils leurs propres émotions ? Comment perçoivent-ils les émotions et les actions des autres, et comment y réagissent-ils ?….. Et comment ces émotions peuvent-elles être gérées d’une manière qui contribue au développement à la fois personnel et organisationnel ?

De fait, la façon dont l’IE est liée au rendement au travail, notamment la performance professionnelle, a fait l’objet de nombreux articles et recherches. Compte-tenu du temps passé au travail, il est difficile de nier l’impact du bonheur vécu (ou pas) au travail sur notre vie personnelle.

Jusqu’à présent, on considérait que la relation entre IE et performance professionnelle était linéaire : plus votre score d’IE serait élevé, plus vous seriez performant en tant qu’employé. Autrement dit, il serait préférable d’avoir un quotient émotionnel élevé en toutes circonstances.

Mais si ce n’était pas le cas ? En tant qu’employeur, est-ce que cela pourrait changer votre manière de sélectionner et de gérer vos collaborateurs ?

Afin d’examiner ce point de plus près, je me suis penché, en collaboration avec Sanjay Kumar Singh de l’université d’Abu Dhabi, sur le lien entre l’intelligence émotionnelle et divers aspects de la performance professionnelle, en particulier, la performance à la tâche et la performance contextuelle. L’analyse de nombreux aspects de la performance a permis une étude plus approfondie, et par conséquent, un indice de confiance plus élevé quant à la possibilité de généraliser les résultats.

Assurément, les personnes dotées d’une IE plus élevée obtiendraient toujours un meilleur score pour chaque aspect de la performance professionnelle, et inversement, celles avec un faible niveau d’IE obtiendraient toujours un faible score ?

Pour le savoir, nous avons recueilli des données auprès de 188 participants – tous des expatriés aux Émirats Arabes Unis, employés à plein temps, d’un niveau d’études comparable et travaillant pour 14 sociétés différentes. Nous avons mesuré leur performance professionnelle par rapport à leur score d’IE. Pour renforcer le bien-fondé et la validité de notre étude, nous avons demandé à leurs supérieurs hiérarchiques d’évaluer leur performance au travail.

Nous avons constaté que ceux qui affichaient les niveaux d’intelligence émotionnelle les plus bas n’obtenaient pas forcément les scores les plus bas en matière de performance professionnelle. Au contraire, dans la plupart des cas, les employés dont le score s’avérait « moyen » se voyaient attribuer les notes de performance les plus basses par leurs supérieurs hiérarchiques. En termes scientifiques, la relation entre IE et performance professionnelle n’était pas linéaire, mais en forme de U.

Cela signifie que les personnes généralement très performantes au travail ont tendance à posséder un quotient émotionnel élevé ou, au contraire, faible. Alors que les individus considérés comme moins performants décrochent des scores d’intelligence émotionnelle dans la moyenne. Cette étude confirme donc qu’une intelligence émotionnelle développée n’est pas toujours synonyme de meilleur.

En conclusion, dans certains cas, un employé affichant un très faible score d’IE sera plus performant, ou mieux adapté à un certain type de travail, qu’une personne au quotient émotionnel plus élevé. Cela peut se comprendre si l’on considère que pour être performant au travail, il faut parfois faire des choses qui vont à l’encontre de l’intelligence émotionnelle. Par exemple, nous pouvons être amenés à suggérer des changements ou des améliorations susceptibles de heurter les sentiments d’autrui ou de les faire sortir de leur zone de confort.

Autre fait intéressant d’un point de vue pratique : une formation pourrait s’avérer contreproductive pour les personnes dotées d’une IE faible. Ce coaching serait plus bénéfique pour les employés se situant autour de la moyenne en termes d’IE et pourrait augmenter leur performance professionnelle. En revanche, en augmentant le score d’IE d’une personne au quotient émotionnel faible, sa performance professionnelle risque bien de chuter…

De quoi donner matière à réflexion aux managers de tous horizons !

Nikos Bozionelos, emlyon business school

Nikos Bozionelos

Titulaire d’un PhD obtenu à Strathclyde Business school, je suis professeur de gestion internationale des ressources humaines à emlyon business school. Mes principaux sujets de recherche couvrent les antécédents de réussite professionnelle, le mentorat et le réseautage en milieu de travail ainsi que l’employabilité et le rôle de la personnalité dans l’environnement de travail. Je m’intéresse aussi aux problématiques managériales de l’interculturel, aux systèmes de travail de haute performance et aux questions liées à la violence au travail. Je suis rédacteur en chef de L’Asia Pacific Journal of Management. Je suis également l’auteur de nombreux articles académiques dont certains résultats ont été cités dans des médias comme The Wall Street JournalForbesCNN, la BBCThe TimesL’ExpressOuest Franceou encore le Forum économique de Davos.

Plus d’informations sur Nikos Bozionelos :
• Son CV en ligne
• Son profil ResearchGate


Pour approfondir…

  • Bozionelos, N., Singh, S.K. (2017). The relationship of emotional intelligence with task and contextual performance: More than it meets the linear eye. Personality and Individual Differences, 116: 206-211. DOI: 10.1016/j.paid.2017.04.059.
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