Qui serait prêt à payer pour prendre une retraite anticipée ?

 

Ces dix dernières années, des gouvernements du monde entier et de tous horizons politiques se sont retrouvés confrontés au même problème : comment financer les coûts toujours croissants des régimes de pension liés au vieillissement de la population et faire face à l’érosion des outils de retraite traditionnels tels que les rentes.

 

Certains ont adopté une approche créative, à l’image du gouvernement britannique qui a décidé d’autoriser les plus de 55 ans à accéder à leur capital retraite, pratiquement sans aucune restriction, ainsi qu’à rendre non imposable sur le revenu un quart de tout prélèvement anticipé. Toutefois, l’approche la plus courante du problème, et peut-être la plus évidente, consiste à repousser l’âge auquel la pension d’État pourra être perçue.

En 2011, par exemple, le gouvernement italien a instauré des réformes dans un délai très court. Un pourcentage important de la population s’est retrouvé confronté à la perspective de devoir travailler jusqu’à sept années de plus que prévu.

Sans grande surprise, ces changements n’ont pas vraiment suscité l’enthousiasme des personnes concernées, a fortiori compte tenu du fait que l’Italie, comme plusieurs de ses voisins méditerranéens, est un pays où les grands-parents – et notamment les grand-mères – viennent traditionnellement se substituer aux services publics en matière de garde d’enfants.

Compte-tenu du fort niveau de ressentiment constaté à l’encontre des réformes, avec des collègues d’emlyon business school et du CeRP-Collegio Carlo Alberto, nous avons voulu savoir si des individus seraient prêts à payer pour obtenir le droit de réduire leur nombre d’années de travail – et si la retraite anticipée était suffisamment importante à leurs yeux pour justifier un sacrifice financier.

Menée auprès de plus de 500 travailleurs italiens affectés par ces changements, notre étude a montré que malgré un désir réel et largement partagé de partir en retraite anticipée, peu étaient disposés à payer pour concrétiser ce désir. Seul un groupe, constitué essentiellement de grand-mères motivées par la perspective de tenir un rôle important dans la garde de leurs petits-enfants, s’est distingué de la majorité. Non seulement ces femmes auraient accepté de payer pour le privilège d’une retraite anticipée, mais elles étaient prêtes à payer considérablement plus que celles qui, pour diverses raisons, étaient peu susceptibles d’être concernées par la garde d’enfants.

Fait intéressant, cette réticence à payer était générale, à l’exception du « groupe de grand-mères ». Même les travailleurs directement touchés par la réforme n’étaient pas disposés à payer pour une retraite anticipée. En outre, qu’une personne comprenne ou non la nécessité des réformes (à savoir l’état déplorable de l’économie italienne à cette époque et donc la nécessité d’établir un système de retraite plus robuste et plus durable) ne changeait rien au résultat. Pourquoi ? Le problème, c’est que si certaines des personnes interrogées semblaient bien intégrer la nécessité de réformer le système de pension sur le plan intellectuel, peu la comprenaient de manière intuitive. D’après nos conclusions, il existe (non seulement en Italie, mais probablement aussi dans tout pays où le concept de retraite subventionnée par l’État est fermement ancré) le sentiment répandu que la retraite est un « droit acquis », une promesse que l’État a le devoir d’honorer, quel qu’en soit le coût global pour la société ou la situation économique générale. Et cette perception, vraie ou erronée, semble avoir été héritée directement d’anciens systèmes de pension généreux, parfois peut-être à l’excès.

La création de stratégies de retraite durables représente un défi des plus épineux pour les gouvernements étant donné la situation démographique de plus en plus problématique dans de nombreux pays. Il reste néanmoins une lueur d’espoir : en effet, notre recherche a montré que lorsque les gens comprennent véritablement les raisons derrière les réformes des prestations de retraite, et lorsque ces réformes s’accompagnent de politiques sociales complémentaires qui aident les foyers à en gérer l’impact négatif, elles semblent susciter moins de résistance. La difficulté majeure réside donc peut-être non pas dans la création effective d’un système durable, mais dans le fait d’informer toutes les personnes concernées de manière claire et convaincante. Car à moins de conquérir « les cœurs et les esprits », la voie de la durabilité dans ce secteur politique des plus importants semble pour le moins ardue.

 

Riccardo Calcagno

 

Je suis Professeur en Finance d’entreprise à emlyon business school depuis 2011. J’ai un doctorat en économie de l’Université Catholique de Louvain (Belgique), et avant de rejoindre emlyon business school j’étais chercheur à l’Université de Tilburg et à l’Université Libre d’Amsterdam (VU). Mes intérêts de recherche concernent principalement l’éducation financière et le rôle du conseil financier d’une part, et la gouvernance d’entreprise, d’autre part. Plus en particulier, j’ai étudié les processus de fusions et acquisitions, et la rémunération des cadres supérieurs.
J’ai publié des articles dans des revues spécialisées, notamment la Review of Economic Studies, le Journal of Corporate FinanceCorporate Governance: An International Reviewet le Journal of Banking and Finance, entre autres.

Plus d’informations sur Riccardo Calcagno :
• Son CV en ligne
• Son profil ResearchGate


Pour approfondir…

  • Moscarola F. C., Calcagno R., Fornero E. (2017). Too busy to stay at work : How willing are Italian workers « to pay » for earlier retirement? Economics Bulletin, 37 (3), 1694-1707.
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