La stratégie digitale est extrêmement stimulante, tant par la variété des technologies utilisables, la diversité des domaines touchés que par la multiplicité des opportunités qu’elle offre. Au-delà de l’enthousiasme qu’elle génère au sein de la plupart des organisations, la stratégie digitale choisie apparaît souvent comme un révélateur de la personnalité du dirigeant d’une entreprise et de sa forme de gouvernance. Intentionnelle ou émergente, que dit-elle de votre organisation ?

 

L’approche intentionnelle

Pour formuler une stratégie digitale, le raisonnement le plus communément mené consiste à partir d’une vision. La vision, c’est ce que l’on veut faire, quelle offre, pour quels clients, avec quel positionnement. La vision, c’est en quelque sorte la projection de l’entreprise dans le futur. Sur la base de cette vision, le marché est analysé en menant un diagnostic, puis une ou plusieurs décisions sont prises, et la stratégie digitale est exécutée. Cette démarche est appelée « approche intentionnelle« , car elle est guidée par une vision et l’intention stratégique est formulée explicitement avant la construction de la stratégie. « Nous savons ce que nous voulons faire. Nous ne savons pas encore comment nous allons le faire, mais c’est par là que nous allons !« . L’approche intentionnelle repose donc sur une conception top-down : on élabore une vision stratégique, puis on développe la démarche qui vise à la réaliser.

L’approche intentionnelle est la méthode dominante, la plus largement pratiquée, quel que soit le secteur d’activité. Elle est tellement dominante, que c’est cette démarche qui est demandée par les investisseurs et les banques lors de la soumission d’un projet. C’est aussi cette démarche qui est sous-tendue par la mode des « pitchs » : parce que le candidat est capable d’exprimer clairement sa vision, cela signifie qu’il a un projet clair. Cela peut être vrai, mais le fait que cette approche se soit imposée ne la rend pas unique. Il existe des alternatives crédibles. La plus fréquemment évoquée est « l’approche émergente« .

L’approche émergente

Ce qui caractérise la spécificité de l’approche émergente, c’est qu’elle part du terrain. Elle n’est pas conditionnée par une vision préalable qui sera élaborée au cours du processus de formulation de la stratégie digitale. Cette vision dépendra très fortement des ressources disponibles, et de celles qui pourront être acquise durant le processus, au fur et à mesure. On mène un ensemble d’actions pour pallier les problèmes rencontrés au cours de l’élaboration du projet, tels que des actions marketing, logistiques, SI, modifications technologiques, évolution des comportements des consommateurs, etc. Chacune de ces actions contribue à l’évolution du projet. Puis, on rationalise ce foisonnement par la construction d’un plan stratégique.

Alors que la stratégie digitale intentionnelle est guidée par une vision, la stratégie digitale émergente est guidée par les actions.

Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise méthode

Les risques pour les deux méthodes existent. L’approche intentionnelle, menée sans rigueur ni technicité, risque de conduire à une stratégie digitale totalement déconnectée des contraintes du marché et des comportements de l’audience. Le principal risque de l’approche émergente est de ne jamais parvenir à produire quelque chose de cohérent, en raison de la multiplicité et de la profusion des actions entreprises. Elle se différencie surtout par le fait que l’on ne voit jamais réellement la « big picture », la totalité du projet. En effet, la stratégie digitale prend son sens au cours du processus de formulation. Dans les faits, de nombreuses actions sont mises en œuvre comme le lancement de nouveaux produits ou services. L’un des problèmes peut apparaître avec les équipes, qui ne comprennent pas comment l’entreprise évolue. Avec l’approche intentionnelle, la vision est formulée et communiquée aux équipes, et plus largement aux parties prenantes comme les propriétaires ainsi que les principaux clients et partenaires. Tout le monde sait globalement à quoi s’en tenir et peut se positionner par rapport à la stratégie, ce qui n’est pas le cas avec l’approche émergente, car il n’y a pas de vision préalable. De plus, des tensions peuvent apparaître avec les investisseurs. Comme la visibilité est moindre, l’incertitude est plus élevée et peut conduire à d’importants problèmes de confiance.

Mais attention, il ne faut pas sous-estimer les niveaux de technicité. Quel que soit le mode de formulation de la stratégie digitale choisi, intentionnel ou émergent, la technicité, les risques, les difficultés, restent conséquents. Dans les faits, l’orientation stratégique plutôt intentionnelle ou émergente est multifactorielle, fruit de la personnalité des dirigeants, des dynamiques qui animent les équipes, de technologies employées, des structures de financement, de la structure du marché, … Le plus important, c’est la cohérence entre le diagnostic, les décisions et la mise en œuvre, car une bonne stratégie se révèle dans son exécution.


Cet article a préalablement été publié dans la revue Courrier Cadres n°117 (octobre 2018).

 

Jean-Philippe Timsit

 

Professeur en stratégie digitale, je suis directeur académique du programme de formation TDO – Transformation Digitale des Organisations. Spécialiste de la stratégie digitale et de l’avantage concurrentiel, mes travaux portent sur le type de stratégies que les entreprises doivent adopter pour conquérir une position profitable et durable sur des marchés hyperconcurrentiels.

Je suis membre du conseil d’administration de l’AIMS (Association Internationale de Management Stratégique).

Plus d’informations sur Jean-Philippe Timsit :
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• Son blog


Pour approfondir…

Jean-Philippe Timsit - Stratégie Digitale

  • Timsit, J.P. (2018). Stratégie digitale : Méthodes et techniques pour créer de la valeur. Paris: Vuibert, 304 p. ISBN 978-2-311-40580-4.
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