Marketing & Modes de Vie
Barres chocolatées rétrécies et nombre de chips réduit : la « shrinkflation » est-elle la pire des pratiques commerciales ?
La prochaine fois que vous prendrez un paquet de café ou de papier toilette, vous y regarderez de plus près. Vous remarquerez peut-être que l’emballage vous semble familier, mais que son contenu a subtilement diminué. C’est ce que l’on appelle la « shrinkflation », une stratégie d’augmentation des prix utilisée par les fabricants du monde entier. En réduisant la taille des produits et gardant les mêmes prix finaux, les entreprises tirent parti de la psychologie des acheteurs qui sont plus susceptibles de remarquer une augmentation de prix d’un produit qu’une légère réduction de sa taille.
Une tendance omniprésente
Malgré les plaintes des consommateurs et les récentes initiatives des pouvoirs publics, le phénomène ne semble pas près de s’atténuer. Selon une récente étude de la banque Barclays, huit consommateurs britanniques sur dix ont déclaré que cette pratique nuisait à leurs finances. Un quart d’entre eux ont même noté un « rétrécissement à double creux », c’est-à-dire que les produits subissent deux séries ou plus de réductions de taille, sans qu’il y ait de réduction de prix correspondante. Les cinq produits les plus fréquemment cités comme étant touchés sont le chocolat (57 %), les chips (44 %), les paquets de biscuits (41 %), les barres à grignoter (36 %) et les bonbons (36 %).
L’une de vos marques préférées fait probablement partie des coupables. Au Royaume Uni, ont notamment été pointés du doigt les barres chocolatées Toblerone, Mars ou Galaxy, les biscuits McVities, les glaces Magnum ou encore les apéritifs salés Pringles. La liste est longue.
Bien qu’il soit de plus en plus utilisé, ce tour de passe-passe n’est pas nouveau pour les entreprises. En période de turbulences économiques, les fabricants ont toujours eu recours à cette stratégie furtive pour maintenir leur rentabilité sans augmenter ouvertement leurs prix. Ainsi, le gouvernement britannique a enregistré 2 529 relevés de prix pour lesquels la taille de l’article suivi avait diminué entre janvier 2012 et juin 2017. Aujourd’hui, alors que les chaînes d’approvisionnement mondiales sont confrontées à des pressions sans précédent et à une inflation généralisée, la « shrinkflation » est réapparue comme une tendance silencieuse mais omniprésente qui touche les consommateurs du monde entier.
Les consommateurs se sentent floués
La contraction des quantités passe le plus souvent inaperçue pour les consommateurs jusqu’à ce qu’ils ouvrent l’emballage et commencent à examiner le produit. Dans certains cas, elle peut s’accompagner d’un changement d’emballage (par exemple, un creux plus important au fond d’un bocal). Cette technique déconcerte encore plus le consommateur qui ne se rend pas immédiatement compte qu’il y a moins de produit.
Les consommateurs se sentent trompés et privés de tout pouvoir sur leurs achats. Au Royaume-Uni, en réaction, ils ont lancé plusieurs pétitions et demandé aux supermarchés de suivre l’exemple du supermarché français Carrefour en étiquetant les produits touchés par cette démarche. Malgré l’attention et la surveillance accrues des médias, très peu d’actions volontaires ont été mises en place jusqu’à présent par les grands détaillants.
Les entreprises réalisent-elles à quel point cette pratique est néfaste pour les affaires ? Une étude récente a démontré que la majorité des consommateurs considèrent la shrinkflation comme une pratique malhonnête, bien plus injuste que l’augmentation des prix. Les détaillants ne sont pas épargnés par l’indignation des consommateurs, puisqu’ils sont également considérés comme coupables, malgré le contrôle limité qu’ils exercent sur la réduction de la taille des emballages, comme le suggèrent nos résultats préliminaires.
La grogne sur les réseaux sociaux
Notre analyse de 4 000 messages X publiés entre janvier 2022 et janvier 2024 et contenant les mots-clés « #shrinkflation » ou « shrinkflation » montre que les consommateurs considèrent les fabricants comme responsables de la réduction de la quantité des produits, mais qu’ils attribuent également aux détaillants la responsabilité de ne pas avoir protégé les consommateurs de cette nouvelle dynamique du marché.
Les consommateurs blâment l’industrie alimentaire, des marques spécifiques ou les deux. S’agissant des marques, ils les mentionnent souvent explicitement et montrent des images d’emballages rétrécis. Ils reprochent aux fabricants d’employer de telles tactiques et expriment un sentiment de tromperie ou d’escroquerie, surtout si cela signifie qu’ils en ont moins pour leur argent. En effet, les communications des marques sur la contraction des emballages sont perçues comme trompeuses, car elles tentent de convaincre les consommateurs des avantages de la réduction des emballages :
Bien sûr, la taille n’est pas tout. Parfois, la réduction du nombre d’ingrédients ou de matériaux a une incidence sur la qualité du produit lui-même. Oreo, par exemple, a été accusé de réduire la couche de crème entre les biscuits sans baisser les prix.
Plus impopulaire que les hausses de prix
Les résultats de nos études menées en ligne au cours des six premiers mois de 2024 auprès de plus de 1 700 consommateurs du Royaume-Uni et d’Italie confirment ces observations. Par le biais d’un questionnaire en ligne, les consommateurs ont été invités à réagir à un message aléatoire leur indiquant que leur supermarché préféré soit mettait en œuvre la « shrinkflation », soit augmentait les prix.
Les réponses des consommateurs montrent un niveau d’aversion envers le détaillant plus élevé dans le cas de « shrinkflation » par rapport à l’augmentation du prix. La « shrinkflation » a aussi été perçue comme une pratique plus injuste par rapport à l’augmentation des prix (+7,3 %). Nos résultats montrent également une réduction substantielle de la confiance envers le détaillant, qui chute de 4,5 % quand cette pratique est appliquée. La perte de confiance est particulièrement problématique pour les détaillants parce qu’elle entraine un changement d’attitude (-4%) envers le distributeur. Ses effets négatifs sur la relation entre client et enseigne peuvent être encore plus prononcés si cette pratique est utilisée sur une longue période.
Les gouvernements réagissent
Certains gouvernements s’attaquent désormais à cette pratique. Depuis le 1er juillet 2024, les magasins français sont tenus d’afficher des avertissements sur les produits dont la taille a été réduite sans réduction de prix correspondante, et l’Italie a suivi quelques semaines plus tard. En Asie, l’autorité de régulation antitrust de la Corée du Sud a également exigé que les fabricants et les fournisseurs de produits alimentaires informent les consommateurs s’ils réduisent la taille de leurs produits, sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à 10 millions de wons (7 300 dollars). Les législateurs américains, dont l’ex-président Biden, ont publiquement condamné la contraction des quantités au même prix et envisagent de nouvelles mesures législatives pour réprimer cette pratique.
Les entreprises ne sont toutefois pas condamnées à l’impopularité. Si elles cèdent à la « shrinkflation », notre étude montre qu’elles peuvent maintenir la confiance et minimiser les réactions négatives en faisant preuve de transparence et en informant les consommateurs de manière proactive en cohérence avec les contraintes règlementaires de certains pays.
Cet article est une traduction de l’article « Puny chocolate bars and miniature crisps: is ‘shrinkflation’ the worst business practice ever? » initialement publié sur la plateforme The Conversation.