Closed sign, coffee shop and hands of person at entrance of small business for bankruptcy or recession. Closing, economy and financial crisis with employee at door cafe or restaurant for service - by StarDweller/peopleimages.com

Entrepreneuriat & Innovation

Entrepreneurs : tous égaux face au succès ?

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Les variations conjoncturelles des défaillances d’entreprises masquent des permanences que la sociologie peut éclairer. En effet, il existe une étrange stabilité dans le profil des entreprises qui échouent. La connaissance de ces phénomènes devrait amener les pouvoirs publics à revoir les dispositifs d’aides et de formation. Tout le monde n’est pas entrepreneur avec les mêmes chances de succès.

Depuis le début de l’année 2024, la hausse importante des défaillances d’entreprises inquiète avec une augmentation de près de 25 % par rapport à l’année précédente, à tel point qu’on évoque un possible phénomène de « rattrapage ». Ces derniers mois, cette situation a fait les titres de plusieurs journaux comme Les Echos ou Le Figaro évoquant « une forte poussée des défaillances d’entreprises« , en particulier de PME et certains secteurs d’activité comme les activités immobilières.

Les derniers chiffres du cabinet Altares mettent en exergue qu’environ 66 000 entreprises ont fait faillite sur les douze derniers mois, ce qui représente une augmentation de 20 % par rapport à 2023. Rien qu’au troisième trimestre de 2024, environ 13 400 entreprises supplémentaires ont déposé le bilan.

Changer d’approche

Cela est conforme à ce que l’on observe habituellement avec les défaillances d’entreprises : le commentaire se limite à leur nombre et au taux de variation et ne va guère plus loin. Il s’agit d’une vision brute et court-termiste où les fermetures d’entreprises sont un phénomène qui suit plus ou moins les crises économiques selon un cycle finalement assez prévisible. Elles seraient aléatoires et varieraient selon les périodes. The Conversation

Mais si l’on n’observe les défaillances d’entreprises qu’en se contentant de comparer les valeurs absolues à deux points rapprochés du temps, on est forcément amené à considérer toutes les variations qui se présentent comme autant de signes de changements.

Derrière la variation permanente du taux, des constantes existent comme le montre l’approche sociologique adoptée dans nos travaux. Loin des mouvements d’apparence erratique, des mécanismes récurrents émergent transcendant les crises économiques. Ainsi, les données collectées depuis le milieu des années 2000 sur les défaillances d’entreprises à Lyon l’illustrent. Il est alors remarquable de pouvoir constater que les défaillances d’entreprises soient, d’une année à la suivante, constantes et régulières, et ce quasi-indépendamment de la conjoncture économique.

Des entreprises toujours massivement liquidées

Observons d’abord les procédures appliquées aux entreprises défaillantes. Dès lors qu’une entreprise est en état de cessation de paiement, trois procédures existent : la liquidation judiciaire, le redressement judiciaire et depuis 2006, la sauvegarde. La liquidation consiste à mettre fin à l’activité de l’entreprise défaillante en vendant ses biens. Le redressement judiciaire est une procédure destinée à permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. La sauvegarde est une procédure proche des objectifs du redressement ; elle s’en distingue toutefois car elle est exclusivement à l’initiative du dirigeant qui, sans être en cessation de paiement, justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter.

Bien que le nombre total de défaillances d’entreprises puisse varier, la proportion de liquidations par rapport aux redressements et aux sauvegardes reste constante :

Procédures collectives ouvertes de 2006 à 2023 dans le ressort du tribunal de commerce de Lyon
Procédures collectives ouvertes de 2006 à 2023 dans le ressort du tribunal de commerce de Lyon – Greffe du tribunal de commerce de Lyon – calculs réalisés par Virginie Blum, Fourni par l’auteur

 

En dépit des réformes législatives ayant un objectif d’anticipation, force est de constater que les entreprises défaillantes demeurent massivement placées en liquidation. Le premier graphique ci-dessus montre la répartition des types de procédures collectives (liquidations, redressements et sauvegardes) pour différentes années. Chaque courbe représente une année spécifique, de 2006 à 2023. On observe que, pour chaque année, les liquidations représentent la part la plus importante des procédures collectives, suivies des redressements, et enfin des sauvegardes, qui sont beaucoup moins fréquentes. La très faible variation entre les courbes, et leur chevauchement assez conséquent, illustre combien leur répartition est stable au fil du temps.

 

Les microentreprises en première ligne d’une année à l’autre

Observons ensuite la taille des entreprises défaillantes, selon qu’elles aient des salariés ou non. On peut distinguer cinq types d’entreprise : la micro-entreprise sans salarié, la très petite entreprise (TPE) employant un à neuf salariés, la petite entreprise (PE) comprenant 10 à 49 salariés, la moyenne entreprise (ME) comptant 50 à 249 salariés et, enfin, l’entreprise de taille intermédiaire (ETI) employant 250 salariés et plus.

Procédures collectives ouvertes de 2006 à 2023 dans le ressort du tribunal de commerce de Lyon
Procédures collectives ouvertes de 2006 à 2023 dans le ressort du tribunal de commerce de Lyon – Greffe du tribunal de commerce de Lyon – calculs réalisés par Virginie Blum, Fourni par l’auteur

 

Là encore, un constat s’impose : la majorité des entreprises défaillantes sont des microentreprises et des TPE, à l’image du tissu économique français concentré autour des micro-entreprises. Cette tendance se maintient d’année en année. De la même manière, dans le deuxième graphique, chaque courbe représente une année spécifique et montre la répartition des défaillances par taille d’entreprise qui reste aussi constante au fil du temps.

Une structure sectorielle qui persiste

Une lecture sectorielle des entreprises défaillantes révèle la même constance dans le profil des entreprises concernées. Ainsi, les activités les plus représentées dans les procédures collectives sont le commerce et la construction. Viennent ensuite les activités spécialisées comme, par exemple, les activités comptables, de conseil en relation publique, de conseil en gestion, comme les bureaux d’études. Puis, nous retrouvons les secteurs de l’hôtellerie-restauration, des services aux personnes, de l’industrie, le secteur de l’infocom et le transport. Et de façon relativement marginale, les secteurs de l’immobilier et de la finance-assurance.

Cette répartition, avec certains domaines particulièrement plus exposés que d’autres, demeure d’année en année. Les petites variations dans les parts des secteurs indiquent des adaptations dans certains domaines d’activité, potentiellement liées aux politiques de soutien ou aux cycles économiques sectoriels, comme dans l’industrie.

Procédures collectives ouvertes de 2006 à 2023 dans le ressort du tribunal de commerce de Lyon
Procédures collectives ouvertes de 2006 à 2023 dans le ressort du tribunal de commerce de Lyon – Greffe du tribunal de commerce de Lyon – calculs réalisés par Virginie Blum, Fourni par l’auteur

 

« Tous entrepreneurs » : oui mais…

Étudier ces invariants amène à (ré)interroger notre compréhension de l’échec entrepreneurial au-delà des causes contextuelles et conjoncturelles. Une telle constance socio-économique dans les défaillances d’entreprises éclaire autant qu’elle interroge, sous un angle nouveau, la formation de notre « économie entrepreneuriale« . Malgré son apparente démocratisation, le modèle du « Tous entrepreneurs » en marche depuis les années 2000 et les politiques publiques qui l’ont accompagné se traduit statistiquement par le fait que celles et ceux qui échouent présentent des caractéristiques proches d’une période à l’autre.

Les dispositifs mis en œuvre jusqu’à présent révèlent ainsi des effets plus quantitatifs que qualitatifs. Comme nous avons pu le mesurer par ailleurs, ce sont les personnes précaires et mal-protégées, soumises à différents mécanismes de domination (économique, ethnique, de genre) qui viennent alimenter les défaillances d’entreprises. Rompre cette reproduction sociale pourrait passer par des politiques favorisant l’égalité des chances, notamment via la création de réseaux plus inclusifs et l’éducation à l’entrepreneuriat dans des milieux moins favorisés. Repenser les aides en les concentrant davantage sur les profils d’entreprises à « risque » pourrait être une piste intéressante.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original