Stop, hand sign and woman with no gesture for sexual harassment and violence in workplace. Business professional Par WS Studio 1985

Société

Protéger stagiaires et apprentis contre le harcèlement sexuel : pourquoi les écoles et les universités doivent agir

Les entreprises françaises sont tenues de mettre davantage de mesures en place afin de répondre aux problématiques de violences sexistes et sexuelles au travail. Elles doivent réagir rapidement lorsqu’un cas de discrimination ou de harcèlement survient et se montrer attentives à la protection de leurs employés. Pourtant, le projet de recherche que nous avons récemment conduit montre qu’un grand nombre de cas de harcèlement sexuel visant des travailleuses et travailleurs précaires – et, pour ce qui concerne les écoles et les universités, les stagiaires et les apprentis – demeurent impunis. Dans ce court article, nous nous proposons de résumer ce travail de recherche, qui révèle que les mesures anti-harcèlement censées protéger l’ensemble des salariés s’avèrent moins efficaces pour protéger les travailleurs les plus précaires. Sur la base de ces conclusions, nous recommandons aux business schools et aux établissements d’enseignement supérieur d’aller plus loin dans les mesures mises en place pour protéger leurs étudiantes et étudiants pendant leurs premières expériences professionnelles.

Les mesures anti-harcèlement souvent insuffisantes pour protéger les travailleurs précaires

Depuis le mouvement #MeToo, les dispositions légales visant à protéger les travailleurs contre le harcèlement sexuel et les violences sexistes ont été renforcées en France. Ces nouvelles lois obligent les entreprises et les organisations à nommer un ou une référente chargée de coordonner l’instauration de mesures anti-harcèlement. Un guide publié par le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités détaille les obligations légales qui incombent à tout employeur : procéder rapidement à une enquête interne dès lors qu’un cas de harcèlement sexuel est signalé, agir pour protéger les travailleurs contre d’éventuelles représailles durant la procédure interne, ou encore s’assurer que tous les salariés aient connaissance de leurs droits et des mesures existantes, notamment légales, auxquelles elles et ils peuvent avoir recours à l’encontre de leur agresseur, mais aussi du soutien qu’ils sont en droit d’attendre de la part de leur employeur.

Pourtant, les plusieurs centaines de témoignages recueillis par l’association Balance ton Stage auprès de travailleurs précaires devant réaliser un apprentissage ou un stage afin de valider leur diplôme, révèlent que les faits de harcèlement sexuels demeurent le plus souvent impunis. À travers cet article, notre but est de tenter d’expliquer cet état de fait et de détailler ce que les écoles et les universités peuvent mettre en place pour affronter cette problématique.

Comprendre les lacunes des mesures anti-harcèlement

Une étude importante a montré que les mesures destinées à répondre à la problématique du harcèlement sexuel demeurent imparfaites et ne parviennent pas à remplir leur objectif. Si elles sanctionnent efficacement les employés occupant des postes de rang inférieur, elles échouent souvent à le faire pour les agresseurs en position de pouvoir. Nous savons aussi que les délais nécessaires à la conduite d’enquêtes internes après le signalement de faits de harcèlement sexuel sont souvent très longs, et que les garde-fous censés protéger les victimes d’éventuelles représailles durant ce laps de temps se révèlent la plupart du temps insuffisants voire inexistants.

Les témoignages que les étudiantes et étudiants ont accepté de livrer mettent en lumière le fait que stagiaires et apprentis sont souvent réticents à signaler des faits de harcèlement sexuel commis à leur encontre. Les raisons sont multiples. Nombreux sont celles et ceux qui expliquent que leur agresseur a attendu la fin de leur stage pour agir, leur laissant peu de temps pour dénoncer ces actes au sein de l’entreprise. La crainte de représailles est également régulièrement évoquée (sans surprise, la plupart des agresseurs occupaient une position plus élevée que la leur). Plusieurs d’entre eux ont également mentionné la peur que leur signalement puisse avoir un impact négatif sur leur stage, et donc mettre en péril l’obtention de leur diplôme. Stagiaires et apprentis se trouvent dans une situation délicate : valider un stage leur étant indispensable pour décrocher leur diplôme, dénoncer des faits de harcèlement sans l’assurance d’être soutenus dans leur démarche peut potentiellement avoir pour eux des conséquences extrêmement néfastes. Plus inquiétant encore : plusieurs étudiantes et étudiants ont relaté avoir pris le risque de signaler auprès de leur école ou de leur employeur des faits de harcèlement sans qu’aucune action ne soit engagée ensuite pour les protéger.

Aller plus loin pour protéger les stagiaires et les apprentis contre le harcèlement sexuel

Nos travaux de recherche ont démontré qu’en dépit de l’adoption de lois destinées à protéger les employés contre le harcèlement sexuel, les mesures anti-harcèlement demeurent non seulement insuffisantes en France, mais exposent plus particulièrement les stagiaires et les apprentis – des individus jeunes, qui vivent leur première expérience professionnelle et ont beaucoup à perdre s’ils ne reçoivent pas le soutien adéquat de leur école ou de leur employeur. Par exemple, les témoignages d’étudiants que nous avons recueillis illustrent à quel point les délais trop longs avant la mise en place d’enquêtes internes jouent contre eux. Parce qu’elles et ils se trouveront dans l’entreprise pour une durée limitée, et parce que leur agresseur occupe souvent un poste hiérarchiquement supérieur et plus stable, ils ont moins de chances d’obtenir réparation après avoir signalé un cas de harcèlement, et prennent en outre le risque d’affronter des représailles en interne.

Quelles leçons tirer de ces travaux de recherche ? Ils s’avèrent à mes yeux pertinents pour les communautés universitaires du monde entier. Aujourd’hui, la majeure partie des établissements d’enseignement supérieur allouent une place importante dans leurs programmes aux stages et aux apprentissages. Il apparaît primordial que leurs équipes soient formées et connaissent la marche à suivre devant une ou un étudiant souhaitant signaler un cas de harcèlement sexuel survenu au cours d’un stage ou d’un apprentissage. Autres éléments indispensables si l’on veut voir augmenter le nombre de signalements : sensibiliser les étudiants ou encore les assurer du soutien de leur établissement en cas de harcèlement sexuel – ces derniers seront davantage susceptibles de se confier auprès de leur établissement s’ils ont au préalable reçu la garantie qu’un éventuel signalement n’entraînerait aucune conséquence négative sur l’obtention de leur diplôme. Il est par ailleurs essentiel qu’à chaque signalement de harcèlement, les établissements se mettent aussitôt en lien avec les entreprises, dans l’optique de cesser toute collaboration avec celles qui tolèrent le harcèlement et de contribuer à la protection des étudiants et à la poursuite de leurs stages dans un environnement moins toxique.

Pour ce qui est des entreprises, nos observations montrent que la mise en place de programmes destinés à répondre à la problématique du harcèlement sexuel ne suffit pas. En réalité, il faut améliorer ces politiques progressivement afin de combler leurs lacunes. Nos travaux révèlent non seulement que les mesures existantes possèdent des défauts, mais aussi que ceux-ci sont particulièrement préjudiciables pour les travailleurs jeunes et précaires, plus précisément les stagiaires et les apprentis. Pour soutenir ces jeunes recrues, les entreprises doivent aussi développer des méthodes d’enquête interne plus rapides et leur assurer qu’ils n’ont pas à craindre de répercussions négatives dans le cas où ils viendraient à signaler des faits de discrimination ou de harcèlement.

Cet article est basé sur une publication académique en cours de révision (R&R, resubmitted) dans la revue Organization, intitulée « Internships and sexual harassment. How the status of interns reinforces vulnerability in cases of sexual harassment at work » par Camille Dubourdieu-Rayrot, Lisa Buchter et Wafa Ben Khaled.