Dans le domaine de l’énergie renouvelable, les coopératives citoyennes connaissent un véritable boom en Europe. Si elles se comptent par centaines en Allemagne et au Danemark, elles se développent par dizaines en France (ex. Enercoop), en Belgique (ex. Ecopower), au Royaume-Uni (ex. Energy4All), en Italie ou aux Pays-Bas. De nouvelles initiatives très prometteuses commencent également à voir le jour en Europe du Sud et de l’Est. Pour peser plus lourd dans les débats sur l’énergie, ces coopératives se sont regroupées au sein de la fédération européenne REScoop.eu, l’acronyme REScoop signifiant « Renewable energy source cooperative ».

 

Les facteurs d’émergence…

Plusieurs facteurs expliquent l’émergence et le développement de ces coopératives. S’y exprime notamment la frustration de nombreux citoyens, qui préfèrent voir exploitées localement des sources d’énergie renouvelable telles que le soleil et le vent, vues comme des « biens communs », plutôt qu’au profit d’une appropriation privée par des entreprises, souvent déconnectées du territoire concerné. Elles incarnent une forme de résistance envers les nombreux projets d’énergie renouvelable qui ne prennent pas en compte le point de vue des riverains, ou alors uniquement en tant que partie prenante à dédommager. Elles répondent à une volonté de transparence plus grande quant à la qualité verte de l’énergie produite, rendue souvent problématique par une traçabilité aléatoire. Enfin, elles parviennent à mobiliser une partie de la gigantesque épargne des citoyens en encourageant ceux-ci à opter pour des projets locaux et porteurs de sens.

De nombreux citoyens ne se contentent plus d’être de simples consommateurs passifs. Ils ne veulent plus laisser la production et l’approvisionnement en énergie aux seules mains des grandes entreprises. En cela, l’action des coopératives rejoint un mouvement plus large qui propose de passer de la revendication à l’action économique via des initiatives d’économie sociale et solidaire.

Et de résistance

Pour autant, en dehors de pays comme l’Allemagne et le Danemark, les coopératives d’énergie renouvelable rencontrent des résistances importantes qui freinent leur déploiement. Dans la plupart des pays, le système de production énergétique est très centralisé. La législation est adaptée aux grandes entreprises et ne permet pas toujours à des groupements citoyens de s’investir dans la production et surtout dans la fourniture d’énergie. En outre, il s’avère souvent compliqué de rassembler du capital auprès d’une multitude de citoyens.

De nombreux acteurs, au premier rang desquels les banques et les pouvoirs publics, peinent à comprendre et à reconnaître ces nouvelles formes organisationnelles « hybrides », à la fois entreprise et groupement citoyen.

Les bénéfices d’une mise en réseau fructueuse

C’est pour faire face à ces obstacles que les coopératives d’énergie renouvelable ont décidé d’unir leurs forces depuis quelques années via REScoop.eu. En dépit de leur croissance, en chiffres absolus, elles ne représentent pas grand-chose face aux géants énergétiques européens. Malgré tout, les actions de REScoop.eu parviennent à bouger quelques lignes dans le débat énergétique européen pour replacer davantage le citoyen au centre des préoccupations, comme un acteur économique à part entière. En à peine quelques années, Rescoop.eu est parvenue à fédérer plus de 1300 coopératives et à devenir un interlocuteur majeur sur les questions de « démocratie énergétique ». A ce titre, elle a renforcé la prise en compte des citoyens dans l’élaboration des directives européennes, qu’il s’agisse du « Winter Package » (« Clean Energy for All Europeans »), ou des directives et régulations sur l’électricité actuellement en préparation.

Comment expliquer qu’un réseau très récent, constitué d’organisations elles-mêmes récentes et difficiles à appréhender, soit parvenu à faire de la place pour ce modèle économique centré sur le citoyen ? Notre étude identifie trois grands rôles remplis par REScoop.eu dans cet objectif.

En premier lieu, le réseau a permis de renforcer la réflexivité collective des membres face au contexte du secteur de l’énergie renouvelable. Les membres fondateurs se sont régulièrement réunis pour y définir leur place et affirmer leur plus-value. Ils ont commencé par dénoncer les contradictions du secteur, en particulier l’appropriation privée des « biens communs » que sont les sources d’énergie renouvelable (vent et soleil), ainsi que les fortes barrières à l’entrée qui portent préjudice aux petits acteurs – barrières en contradiction avec le discours de libre marché prôné par la commission européenne. Plutôt que de remettre en cause cette logique du libre marché, les membres de REScoop.eu l’ont utilisée pour dénoncer la situation oligopolistique du marché de l’énergie. Le réseau a milité pour la reconnaissance du citoyen dans les textes législatifs européens, se présentant comme un acteur capable de porter un projet économique porté sur les citoyens, contrairement aux entreprises énergétiques principalement axées sur la maximisation du profit. Notre étude montre que la mise en exergue du citoyen au cœur de la transition énergétique, coordonnée par REScoop.eu, a eu une influence réelle sur les orientations de la commission européenne, qui pouvait difficilement s’opposer à cette vision (du moins dans le discours). Ce plaidoyer pour une meilleure prise en compte du citoyen a pavé la voie vers la promotion plus active du modèle coopératif comme véhicule pour concilier les logiques marchande, citoyenne et environnementale dans une vision plus holistique de l’énergie renouvelable.

Une fois ce travail de sensibilisation entamé, le réseau a concentré son énergie sur la codification du modèle organisationnel prôné. Il s’est appuyé sur le modèle coopératif qui a servi de socle unificateur pour rassembler une série de modèles et de pratiques disparates. Il a enrichi ce modèle en y intégrant une composante environnementale et une dimension citoyenne. Grâce à une réflexion collective et à l’échange de pratiques, le réseau a servi d’espace d’expérimentation pour concevoir et communiquer le schéma directeur de la coopérative d’énergie renouvelable. Le réseau a développé autour de ce modèle une charte et une série de bonnes pratiques permettant aux nouvelles initiatives de s’y identifier et de l’assimiler rapidement.

Troisième axe de travail : la promotion du modèle REScoop avec la création d’alliances au niveau européen, d’un argumentaire et de visuels communs, a permis de dépasser la résonance régionale ou nationale développée par chaque coopérative à son échelle. Le réseau a fédéré un grand nombre d’acteurs insatisfaits par la politique énergétique européenne et concernés par la vision des citoyens (« communities ») : mouvement environnemental et acteurs de la transition écologique (ex. Greenpeace et Friends of the Earth), mouvement coopératif et réseaux d’économie sociale et solidaire (ex. Cooperatives Europe), réseaux de pouvoirs publics locaux (ex. Covenant of Mayors), représentants des consommateurs,… Grâce à cette voix collective, ils sont désormais reconnus comme des interlocuteurs majeurs du secteur et largement soutenus par une diversité d’acteurs.

Le développement rapide et fructueux de REScoop.eu est un exemple intéressant, non seulement dans le cadre de son apport spécifique à la démocratisation du marché européen de l’énergie, mais également en tant que source d’inspiration pour d’autres secteurs d’activité. Illustration de nouvelles formes de réseaux d’économie sociale et solidaire, le développement de REScoop.eu montre comment des citoyens et collectifs, initialement disparates et économiquement faibles, peuvent s’allier pour s’affirmer comme acteurs économiques au niveau international. Dépassant la logique de la contestation ou du plaidoyer, REScoop.eu incarne de nouvelles modalités d’action économique citoyenne en vue de lutter contre la concentration du pouvoir économique aux mains des grandes entreprises et de réorienter le marché vers le service à la collectivité.


Cet article a été publié sur The Conversation le 11 décembre 2017.

Benjamin Huybrechts, emlyon business school

Benjamin Huybrechts

Je suis professeur en entrepreneuriat et organisation à emlyon business school, campus Casablanca. J’ai obtenu mon doctorat à HEC Liège (Université de Liège) et effectué mon séjour post-doctoral à l’Université d’Oxford.  Mes recherches portent notamment sur les équipes entrepreneuriales et sur la création et la diffusion de nouvelles formes organisationnelles, en particulier les formes « hybrides » issues de dynamiques d’entrepreneuriat social et coopératif. Mes secteurs de prédilection sont le commerce équitable, les énergies renouvelables et le recyclage, avec un intérêt particulier pour l’Afrique.

Plus d’informations sur Benjamin Huybrechts :
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Pour approfondir…

  • Haugh H., Huybrechts B. (2017). The Roles of Networks in Institutionalizing New Hybrid Organizational Forms: Insights from the European Renewable Energy Cooperative Network. Organizations Studies, forthcoming. DOI: 10.1177/0170840617717097.
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  • Huybrechts B., Mertens, S. (2014). The Relevance of the Cooperative Model in the Field of Renewable Energy. Annals of Public and Cooperative Economics, 85 (2): 193-212. DOI: 10.1111/apce.12038.
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